« Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! »
On peut dire aussi que l’appareil de vertus formé par la foi, l’espérance et la charité, et qui nous fait adhérer, espérer, aimer le Christ, c’est en quelque sorte ce qui nous fait être un avec Jésus et donc ce qui nous fait être le Christ avec le Fils, puisque dans son mystère de l’Incarnation Il englobe toutes les humanités.
Et donc c’est ce qui nous fait être fils avec le Père. Or être fils avec le Père nous renvoie au mystère de Dieu-Père tel que nous le rappelle la Lecture de Jérrémie : « Je suis ton Père et Israël est mon aîné »… C’est l’amour paternel de Dieu.
Être le Christ avec le Fils nous renvoie donc au mystère de l’Incarnation rappelé par l’épître aux Hébreux : le Fils se fait homme pour être prêtre c’est-à-dire pour relier tout homme avec Dieu…
Et être un avec le Christ nous renvoie au mystère de l’Esprit-Saint qui vient à travers l’Église nous rassembler, comme le dit la première Lecture : « Je les rassemblerai… », et qui vient nous guérir par les sacrements, comme Jésus guérit Bartimée : « Va, ta foi t’a sauvé » !
Nous voyons donc comme, dans ces trois vertus, est résumé, condensé, signifié et produit tout ce qui fait notre relation à Dieu en tant que fils, aimé, adopté, sauvé en Jésus-Christ ! Nous retrouvons le « Demeurez en moi » de saint Jean : Demeurez en mon amour, demeurez en l’Esprit, demeurez en l’Église. Et nous retrouvons aussi l’idéal de la vie chrétienne selon saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! ».
Reconnaissons l’insuffisance de nos vertus mais sachons voir leur présence !
Ainsi apparaît à nos yeux d’adultes l’importance essentielle de ces trois vertus. Et en face de cette importance apparaît en creux la faiblesse de ces vertus dans notre vie. C’est pour cela que nous demandons à Dieu de les augmenter : « Augmente en nous… »
D’ailleurs la question première à se poser dans l’examen de conscience, c’est : suis-je conscient de la faiblesse de ma foi, suis-je conscient de la faiblesse de mon espérance ou de ma charité ? Ou suis-je, comme certains pharisiens, aveugle, sûr de moi, sûr de ma foi, catholique et Français toujours, sûr de mon amour, parce que je prie tous les jours et tout le jour…
Alors non, soyons clairvoyants et reconnaissons la faiblesse de notre espérance du Christ, préférant être tel ou tel bien de la terre ! Je préfère être reconnu, honoré pour ma juste valeur, plutôt que d’être persécuté pour la justice. Je préfère arriver à mes fins et donc ne pas avoir forcément le cœur très pur ; être un peu louvoyant plutôt que de voir le Royaume de Dieu. Je préfère être riche, bien assis, confortable sur mon tas d’épargne…
Il vaudrait mieux d’ailleurs parler, non de faiblesse mais d’insuffisance. Car l’homme est pervers au point de passer de l’orgueil le plus grand au dénigrement de soi le plus faux et le plus injuste, arrivant finalement à rejeter la miséricorde de Dieu : je ne suis pas digne d’être appelé à la sainteté ; je ne suis pas digne de venir communier ; je préfère rester dans ma boue…Fausse humilité toute gonflée du même orgueil ! Puisque nous sommes baptisés, nous avons donc reçu ces vertus dans notre âme ! Reconnaissons alors l’insuffisance de la vie des vertus, mais sachons voir leur présence, si ténue soit-elle.
Insuffisance et non faiblesse, pour mieux souligner aussi que ces vertus, nous allons essayer de les poser non par rapport à un absolu, mais par rapport à une dynamique de progression dans laquelle elles doivent s’inscrire, comme tout le reste de notre vie.
Ce n’est pas par rapport à un absolu que se mesure la vertu. Et c’est pour cette raison que l’on ne doit pas se voir comme un « rien », mais juste un « insuffisant » ; comme ces handicapés de la première Lecture, qui existent bel et bien malgré leurs limitations ! De même je suis, mais je suis un peu aveugle à la Lumière divine ; je suis un peu boiteux sur la route de l’Évangile ; je suis un peu sourd à la Parole de Dieu…
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… »
Il nous faut regarder nos vertus par rapport à cette dynamique que le Seigneur Lui-même nous a donnée comme indication de vie. Il ne nous a pas dit : -Aime-moi ! -à l’impératif présent- sinon tu es digne de l’enfer. Il nous a dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ! » Israël, le fils aîné, mais aussi chacun d’entre vous, chaque âme baptisée !
Tu aimeras : c’est-à-dire : tu vas entrer sur cette route vers la terre promise ; c’est un impératif futur parce que Dieu connaît notre faiblesse, comme Il connaît notre besoin de progression, de développement. Nous ne sommes pas éternels comme Dieu ; nous ne sommes pas posés dans l’existence en un seul instant comme les anges ; nous sommes appelés à naître, à grandir et à mourir, tant sur le plan physique que sur le plan spirituel ; « Il faut qu’Il croisse et que je diminue » disait le Baptiste…
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » Nous devons comprendre cette perspective de dynamique de notre vie spirituelle, au risque sinon de tomber dans l’angoisse et dans la désespérance. Nous devons comprendre cette dynamique et nous inscrire dedans. Cela demande beaucoup d’humilité, beaucoup plus que de dire je ne vaux rien, je ne serai jamais racheté !
Baptisé, prêtre, évêque, religieux, consacrée, cela demande beaucoup d’humilité de se reconnaître avec une foi insuffisante, avec une pauvre charité, avec une espérance faible ! Mais c’est dans cette dynamique que nous devons nous inscrire par le désir de grandir, comme sainte Thérèse que nous avons célébrée récemment. Ce désir de grandir, c’est ce qui a fait la sainteté de sainte Thérèse comme de beaucoup d’autres saints.
On ne naît pas saint, on le devient !
Voir la sainteté comme un état est une caricature que le Malin se plait à proposer à notre esprit. C’est comme si nous disions : être saint c’est être une statue de saint. Nous savons bien que la statue ne représente que de très loin un saint ! Car un saint a été dynamique… La représentation n’est qu’une très pâle figuration de la personne. Et c’est la même chose que de dire que la sainteté est un état : la sainteté n’est pas un état.
Ce qui fait la sainteté des saints c’est leur cheminement ; on ne naît pas saint, on le devient. N’allons pas croire que Thérèse était une sainte à la naissance, même si toute petite elle eut déjà ce grand désir de Dieu ! On ne naît pas saint, on le devient à partir du moment où notre volonté devient bonne. Dieu seul EST bon.
Alors pour entrer dans cette dynamique et accroître ces vertus, pour faire grandir mon désir je m’adresse à Dieu comme le fit l’aveugle de Jéricho en demandant à Jésus de le guérir : « Dieu augmente en moi la foi, l’espérance et la charité… »
Mais de quelle manière ? Pensez-vous que Dieu va venir administrer une piqûre de foi ? Ferait-on de la « gonflette » avec des anabolisants de l’esprit ? Non ! C’est à la fois plus complexe et plus simple, comme c’en a toujours été ainsi dans l’Évangile !
Qu’est-ce que cela nécessite d’être en alliance avec Dieu, en union, en communion avec Lui ? Cela nécessite d’abord, de la part de l’homme, un désir. Et c’est pour cela que Dieu (donc c’est bien Dieu qui agit !), crée l’homme dépendant, fini, mortel, pas mauvais, mais pauvre. Il le crée ainsi avec un désir, un désir que nous retrouvons à toute époque de l’histoire ; un désir d’être immortel, un désir d’être heureux, un désir de vie éternelle, un désir de connaître… Ce sont des désirs vrais et beaux : « Rabbouni, que je vois ! »
« De riche qu’Il était, Dieu s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté… »
Mais le désir suffit-il ? Non ! S’il n’y avait que le désir nous serions plongés dans le monde de Camus, le monde de l’absurde. Un pauvre désire un morceau de pain, mais s’il n’a que ce désir cela le ronge encore plus que la faim…
Alors Dieu intervient à un deuxième niveau. Dieu se révèle et Il se révèle comme l’accomplissement de ce désir. Il se révèle comme Richesse ! Relisons saint Paul : « De riche qu’Il était, Dieu s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté… »
Il se révèle comme Don et Il transforme ainsi mon désir en espérance. Le pauvre a le désir du pain, mais ce désir le ronge ; il n’est pas encore assouvi, il ne sait même pas s’il pourra l’assouvir, quand tout à coup il voit une lumière au loin dans la nuit ; il va sonner et son désir commence à se transformer en espérance. Il se dit pouvoir peut-être assouvir son désir. Une personne lui ouvre, le fait entrer, le nourrit… Son cœur se remplit de joie ! Alors que le désir lui, le rongeait, l’espérance le rend joyeux…
Voilà comment Dieu intervient pour nous donner l’espérance. Nous le voyons, cela se situe à la base de notre être substantiel. Nous voyons comment Dieu ne vient pas à la manière d’un maître qui prend. Au contraire, Il vient comme un époux qui se donne, qui donne la main à l’épouse. Cette Épouse, Il l’a établie dans l’existence et puis Il l’a comblée de grâce. Souvenons-nous de la salutation à Marie : « Réjouis-toi Marie, comblée de grâce… » C’est à Marie que cette parole s’adresse, mais c’est aussi à l’Église et c’est donc à nos âmes à chacun : Réjouis-toi comblée de grâce…
« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
Et encore aujourd’hui dans l’Évangile : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
Déjà, nous-mêmes, nous avons du mal envers un ami, un conjoint, un frère, un enfant, que sais-je, à sortir de nous-mêmes pour proposer un service, pour proposer du temps : que veux-tu que je fasse pour toi ? Eh bien là, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, vient voir ce malheureux qui n’a peut-être aux yeux des hommes aucun intérêt, Il vient lui demander : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
Dieu nous comble de grâce. Il va donner Sa vie ; Il va se donner à Son Épouse, avant même que Son épouse soit sainte et immaculée, et pour qu’elle le soit ! Il va venir en elle pour qu’elle puisse, avec Lui en elle, accepter ce don. En un mot, Le recevoir avec Son amour, avoir confiance en Sa tendresse.
Voilà le moyen par lequel Dieu nous donne la foi. La foi ce n’est pas nous qui l’avons parce que nous avons étudié dans des livres, parce que nous sommes de famille traditionnelle, parce que nous suivons des cours… La foi nous la recevons au Baptême, et le Baptême c’est la Croix rendue présente dans et par l’Église ! Nous sommes purifiés, nous sommes lavés par l’eau qui est sortie du côté de Jésus car Jésus s’est donné à l’Église ; Il s’est donné à moi de manière que cela soit finalement, dans mon âme, Lui qui disait : « Abba Pater ! Que ta volonté soit faite… »
Ensuite, au niveau de la charité, tout est très simple ! Dès que j’ouvre mon cœur par ce don de la foi à Jésus, Dieu s’engouffre en moi et comme Il est Amour, c’est cet Amour qui va me faire L’aimer, Lui et Sa famille qui est mon prochain ! Ce n’est pas mon amour limité avec lequel je suis incapable d’aimer mon prochain ; ce n’est pas avec cet amour-là que j’aime Dieu.
C’est avec la présence même de Jésus en moi, Jésus qui est Amour : « Dieu est amour » nous rappelle Saint Jean. Je ne suis finalement qu’un canal par lequel Dieu passe pour aimer à travers moi. En quelque sorte, Il m’élève au rang d’instrument de Son Amour ; c’est sublime d’être appelés à devenir les sacrements de Dieu !
« Je me tiens à la porte de ton âme, je frappe et si tu ouvres j’entrerai. »
Voilà comment Dieu me donne espérance, foi et charité. A une seule condition : il faut le Lui demander ! La foi, l’espérance et la charité, la vie de Dieu, elle est toujours à la porte de mon âme. Jésus le dit dans l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte de ton âme, je frappe et si tu ouvres j’entrerai. » Donc il faut que j’ouvre à Jésus qui frappe à mon cœur. C’est dire qu’il faut que je Lui demande, que je L’en prie.
Pourtant Dieu sait très bien, et avant moi, ce dont j’ai besoin ! Mais il faut que je le Lui demande pour avoir conscience de ma pauvreté et Lui exprimer mon désir de vivre de Lui.
Parce que nous sommes aveugles et nous n’avons pas conscience de la pauvreté de notre foi, de notre espérance et de notre charité : nous nous croyons parfaits, c’est un peu ça en un mot… Mais à force de demander nous prenons conscience de cette insuffisance. Augmente en moi… Si nous le répétons tous les jours : « Augmente en moi la foi, l’espérance et la charité… », nous finissons par avoir conscience de cette pauvreté, et donc de cette nécessité pour notre âme d’être nourrie par Dieu, par l’eau de Dieu, par les vertus de Dieu, par la présence de Dieu !
Alors notre cœur s’ouvrira… A force de demander et de se savoir insuffisant, notre cœur s’ouvre pour recevoir ce qui lui manque : la vie de Dieu. Et lorsque notre cœur s’ouvre et reçoit Dieu, à ce moment-là, nous ne pouvons qu’être conscient du don de Dieu ; conscient que cette foi, cette espérance et cette charité elles nous viennent d’En Haut. Elles ne sont pas notre propriété, elles ne sont pas la propriété du monde dans lequel nous sommes, elles ne sont pas la propriété de notre éducation catholique, elles ne sont pas pas la propriété d’une structure ecclésiale, elles sont don de Dieu !
Aussi rendons grâce dans l’Esprit, comme le rappelle la première Lecture : « Poussez des cris de joie ! » Nous sommes consolés par cette Présence de Dieu qui nous fait adhérer à Lui, L’espérer et L’aimer, en un mot : vivre de Lui pour Le transmettre !