« Exulte Fille de Sion, le Seigneur est en toi… »
La relation de Marie à l’Histoire, son existence incontestable comporte elle-même une double dimension. Puisque Marie est celle en laquelle le Seigneur s’engendre : « Celui qui va naître de toi sera Saint… », ouvrant ainsi l’Histoire de la Nouvelle Alliance, l’Histoire du Salut en Jésus-Christ, puisque Marie est cette vierge en laquelle le Seigneur s’incarne, c’est qu’elle est donc la personnalisation, la concrétisation individuelle du peuple élu, cette fille de Sion dont parle l’Écriture : « Exulte Fille de Sion, le Seigneur est en toi… » qui représentait le peuple choisi et aimé de Dieu, en un mot : la conclusion de l’Ancienne Alliance. Je vous renvoie aux prophéties de Sophonie ou de Zacharie.
Marie se trouve vraiment à un instant charnière pas tant chronologiquement puisqu’il y a d’autres personnages qui environnent Marie, que ce soit Elisabeth, Zacharie et surtout Jean-Baptiste qui est plus jeune. C’est théologiquement que Marie se trouve à la charnière entre l’histoire de l’Ancienne Alliance, la préparation du Salut et l’ouverture de ce Salut avec la naissance de Jésus.
« Marie retenait ces évènements et les gardait en son cœur »
Le récit de l’Annonciation exprime très clairement cette double dimension qui élargit l’événement de la vocation de Marie à une dimension universelle, à un horizon infini. Luc nous l’explique d’ailleurs un peu plus loin dans le chapitre 1, « Marie gardait ces évènements dans son cœur », les confrontant à la Parole de Dieu, essayant de comprendre à la lumière de la Parole les évènements qu’elle vivait et surtout essayant de comprendre la Parole à la lumière de l’Évènement.
C’est pour cela que Marie ayant médité son message dans son cœur, lorsqu’elle transmet à Luc l’histoire de cette Annonciation n’hésite pas un instant ; elle ne se trompe pas : elle sait que l’ange qui lui apparut est l’ange Gabriel, l’ange de l’Apocalypse qui annonce la fin du monde ancien et le début du monde nouveau, fin de l’Ancienne Alliance et départ de la Nouvelle Alliance en Jésus-Christ.
Marie saisit parfaitement que son événement à elle, cette vocation intime, cette relation personnelle qu’elle a avec Dieu par l’intermédiaire de l’ange, parce qu’elle accomplit la Parole, (je renvoie aux prophéties de Zacharie et Sophonie : « Réjouis-toi fille de Jérusalem, le Seigneur est en toi ») s’inscrit dans l’Histoire du Salut. Autrement dit l’événement de l’Annonciation n’est plus un événement privé, ce n’est pas une révélation privée.
Nous aimerions tant, nous, dans notre vie chrétienne, avoir des révélations privées ! Que Jésus vienne nous parler, que la Vierge ou que tel saint nous apparaisse ! Marie vit a contrario de cette dimension intime, de cette relation tout à fait personnelle qu’elle a avec Dieu à travers l’ange, mais subitement élargie aux dimensions de l’humanité parce que justement elle réalise la Parole, en elle s’accomplit cette Parole promettant le Salut par la venue du Messie.
« Réjouis-toi pleine de grâce ! »
Cette dimension méta-historique, cette profondeur, cet élargissement de la relation de Dieu à Marie aux dimensions de l’humanité reliant ainsi la promesse de la Genèse (« il te mordra le talon et tu lui écraseras la tête ») à l’accomplissement dans l’Apocalypse de la Jérusalem céleste, pousse Marie à raconter à Luc cet événement sans employer du tout des expressions amoureuses, intimes, comme l’on trouve dans le Cantique des Cantiques par exemple, mais au contraire des expressions bibliques largement connues et qui sont justement les annonces du Salut qui se réalise en elle.
Par exemple « Réjouis-toi pleine de grâce » : Marie la comblée de grâce, Marie la choyée de Dieu, Marie qui est cette personnalisation ultime du peuple que Dieu s’est choisi et a aimé « d’un amour très particulier », Marie qui en est vraiment le cœur, reprend cette expression des prophètes annonçant la venue du Sauveur : « Exulte ! Réjouis-toi ! »
Elle décrit aussi le fruit de cet amour que Dieu lui porte en reprenant l’image de la nuée signifiant la présence de Dieu dans l’Arche : « l’Esprit Saint te couvrira de son ombre. » Référence très explicite faite par Marie, qui connaissait parfaitement les Écritures, à cette nuée -la shékina– recouvrant l’Arche et exprimant la Présence transcendante de Yahvé.
« Celui qui va naître de toi… »
Et à l’intérieur de l’Arche, il y a la Gloire de Dieu qui illumine et oblige Moïse à se couvrir d’un voile pour pénétrer en cette « Tente du Rendez-vous » et parler avec Dieu. Maintenant cette présence immanente de Dieu dans Son peuple, cette présence de Dieu dans le langage de Marie va devenir l’Engendré, « Celui qui va naître de toi… »
Enfin avec la conclusion de cette Annonciation : « Qu’il me soit fait selon ta Parole », Marie nous renvoie à notre père dans la foi qui est Abraham, celui qui quitta son pays sur l’ordre de Dieu. Nous avons Abraham le fondateur de l’Ancienne Alliance, fondateur dans la foi : « Quitte ton pays, quitte ta terre, ton troupeau et tes richesses et va vers une terre que je te donnerai. Aussitôt Abraham se leva et partit… » L’Ancienne Alliance, c’est-à-dire la préparation pédagogique du Salut se fonde sur cette foi, d’où l’appellation d’Abraham : notre père dans la foi ! En conclusion de cette Ancienne Alliance et en ouverture de la Nouvelle, nous avons notre mère, la Mère des vivants, la nouvelle Eve, notre mère dans la foi, Marie : « Qu’il me soit fait selon ta Parole. »
« Qu’il me soit fait selon ta Parole. »
Nous comprenons donc que Marie, dans la suite logique d’Abraham, Marie qui est notre Mère, Mère du Salut, la nouvelle Eve, comme Abraham fut notre père, Marie est un passage obligé pour nous, pour entrer dans le mystère de Jésus. Voilà qui explique l’importance de ce quatrième dimanche, dans sa dimension de l’Histoire, de la réalité concrète, mais aussi l’importance de ce dimanche dans l’élargissement infini à l’horizon de l’humanité qui vient jusqu’à toucher chacun de nous.
Donc l’Annonciation nous touche, nous, et c’est parce que l’Annonciation nous touche nous, ce que Marie avait très bien compris, que le mystère de Noël va nous toucher nous.
Les mystiques diront que, dans le mystère liturgique de Noël, c’est l’Incarnation qui continue en chacun de nous et que nous sommes appelés chacun et chacune par notre Baptême à réengendrer Jésus-Christ dans notre sein. Pourquoi ? Parce que justement il y a ce passage obligé dans et par la Vierge Marie qui est à la fois l’Histoire et l’éternité de Dieu.
Et ce qui est extraordinaire c’est que ce passage obligé Dieu l’a pris d’abord Lui-même ! Dieu Lui-même est passé par Marie, comme Dieu Lui-même est passé par Abraham parce que Dieu veut d’abord respecter notre liberté. Dieu ne veut pas nous sauver malgré nous. Dieu veut agir en nous dans la mesure où nous acceptons d’être sauvés c’est-à-dire où nous acceptons d’être aimés ! Dieu parle à Abraham : « Abraham, Abraham ! » Dieu lui propose, comme Il va à travers Gabriel proposer à Marie, la réalisation définitive du Salut, qui accomplit la Parole. « Réjouis-toi comblée de grâce… »
Chaque fois que Dieu veut entrer en relation avec moi, Il me laisse libre de répondre, Il me propose Son amour.
Dieu : l’ami fidèle !
La deuxième raison pour laquelle Dieu se plie Lui aussi, et d’abord, à ce passage obligé d’Abraham comme de Marie, c’est que Sa relation à l’homme, qu’Il veut être une relation d’amour, donc libre, doit donc être une relation qui nous prend dans notre humanité la plus complète, dans notre corporéité, dans notre aspect aussi bien spirituel que physique, dans notre vie totale… Notre religion est une religion de l’Incarnation, de la Révélation et non pas une religion, je dirais, de l’abstrait : Dieu respecte les lois les plus vitales, concrètes, fondamentales de nos existences.
Pour entrer en relation avec l’homme Il a d’abord respecté cette loi fondamentale de l’amitié qui est la fidélité. Marie le rappellera dans le Magnificat que la réalisation de sa promesse c’est « le respect de la fidélité que Dieu a eue envers Abraham ». Dieu est fidèle c’est pour cela d’ailleurs qu’Il juge la foi de la réponse d’Abraham. Dieu est fidèle et Il est entré en relation avec l’homme par cette loi humaine, qu’Il a créée puisque Dieu est Créateur, la loi de l’amitié (Abraham était l’ami de Dieu), et dans l’amitié, la loi de la fidélité.
Nous ne pouvons pas avoir une vie chrétienne si nous ne sommes pas amis de Dieu et fidèles, persévérants, réguliers, confiants. L’ami c’est celui qui s’ouvre, qui parle, qui écoute, qui partage, qui ne trahit pas.
Dieu a voulu être intime avec l’homme…
La deuxième loi que Dieu a voulu respecter en passant par Marie c’est la loi de la maternité. Non seulement pour entrer en relation avec l’homme, Dieu a usé de cette loi de l’amitié et de la fidélité mais Il va encore plus loin, Il va user dans son abaissement, dans l’anéantissement de l’Incarnation, de cette loi encore plus profonde, plus charnelle, plus inscrite dans notre cœur qui est la loi de la maternité.
Dieu a fait l’apprentissage de Son humanité par une mère, parce que la mère est la personne qui apprend à son enfant à faire l’apprentissage de son humanité et de l’humanité. C’est par sa mère que l’enfant apprend la vie, est éduqué, s’insère dans la famille, s’insère dans la société. Dieu qui a voulu être intime avec l’homme, partager sa vie, partager sa souffrance, partager ses joies dans le mystère de l’Incarnation, a voulu entrer dans cette loi qu’Il avait Lui-même créée, qui est la loi de l’éducation par la mère.
Ainsi Marie qui est créature de Dieu est celle qui a appris à Dieu l’intimité avec l’homme ! C’est elle qui a appris à Jésus à être notre frère.
Et donc c’est Marie qui va nous apprendre à nous, les hommes, l’intimité avec Dieu. C’est la grâce que nous devons nous souhaiter les uns aux autres en ce quatrième dimanche : avoir la simplicité, l’intelligence, la sagesse de passer par Marie.
Quelquefois nous sommes rebutés parce que nous ne comprenons pas bien telle ou telle dévotion mariale, tel ou tel aspect de la personne de Marie. Ayons alors l’humilité, la simplicité de demander, à la crèche, cette grâce de passer par Marie pour entrer dans le mystère de Jésus, pour entrer dans le mystère de la vie intime avec Dieu, sachant que Dieu Lui-même a eu cette humilité profonde d’apprendre notre propre intimité à travers la Vierge. Et portons ensuite le message à nos frères !