Pourquoi écrire une telle charte ?
Don Pierre-Antoine : Depuis plus d’une dizaine d’année déjà, nous avions commencé à mettre en place un cadre visant à protéger les jeunes et les enfants qui nous sont confiés, et de veiller à leur bien-être. Un premier écrit de don Paul, en 2010, invitait éducateurs et prêtres à la prudence dans le but de rendre possible sereinement l’exercice du ministère auprès des jeunes dans un cadre sûr. Les événements récents au sein de l’Eglise nous ont obligés, à l’instar d’autres communautés, à rédiger un texte que nous avons voulu avec des consignes concrètes, pour certaines imposées, pour d’autres conseillées, mais qui mettent l’accent sur des situations où il faut exercer sa vigilance : la prise de parole, l’attitude en présence d’un jeune, la disposition des lieux de rencontre, les signaux faibles que nous observons qui nous font penser que tel jeune est en difficulté, etc.
La charte a été rédigée par une commission composée de prêtres mais aussi de laïcs. S’adresse-t-elle uniquement aux membres de la communauté ?
Vincent Lafontaine : La Communauté Saint-Martin a voulu chercher conseil de façon assez large, aussi bien auprès d’éducateurs (cf encadré ci-dessous) qu’auprès de juristes, de pères et mères de famille, de psychologues, de façon à avoir une expertise globale, qui concerne l’ensemble des situations qui peuvent être vécues.
Cette charte est bien sûr destinée prioritairement aux membres de la communauté. Mais il a semblé intéressant de la partager également aux laïcs bénévoles qui accompagnent les actions pastorales de la communauté, d’abord parce qu’elle les aide, eux-aussi, à trouver le juste positionnement vis à vis des jeunes, mais aussi parce qu’elle permet la constitution d’une communauté éducative qui partage les mêmes références et peut, lorsque nécessaire, exercer la correction fraternelle.
DPA : Le responsable pastoral s’enrichit des regards croisés de tous les autres éducateurs. Le fait que nos équipes de visite sur le terrain soient constituées d’un homme et d’une femme laïcs, ainsi que d’un prêtre, permet une complémentarité des regards. Lorsqu’un père de famille, une spécialiste de l’éducation, et un prêtre de la communauté viennent visiter un lieu, cette diversité de points de vue permet une analyse riche de l’action pastorale.
Pourquoi avoir voulu faire une charte propre à la communauté ?
VL : Sans être aucunement en compétition avec d’autres chartes, il était légitime que la Communauté Saint-Martin choisisse d’exprimer à sa manière et de façon très concrète sa vision de l’attitude juste et responsable qu’il convient d’adopter. La vocation de ce document n’est évidemment pas de servir de « parapluie » ou de se donner bonne conscience, mais bien de poser un cadre pour qu’à l’intérieur de celui-ci, les personnes sur le terrain puissent s’épanouir librement et sereinement dans leur fonction d’éducateur.
S’agit-il également de rassurer les familles ?
VL : L’existence de cette charte montre aux familles le sérieux avec lequel la communauté a voulu prendre en compte cette question. Une version plus synthétique, a été développée et rappelle aux parents les grands principes qui s’appliquent lors des activités pastorales. Pour ceux qui voudraient approfondir et s’intéresseraient particulièrement à ces sujets, la charte complète est aussi proposée via le site. La communauté n’oublie pas que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants.
DPA : Cette charte permet effectivement d’agir en collaboration et transparence avec les parents parce que nous voulons accompagner leurs enfants dans la clarté. Il est tout à fait légitime que les parents puissent avoir une présentation claire des principes éducatifs qui animent les camps et lieux d’éducation à qui ils confient leurs enfants. Communiquer cette charte aux familles qui le souhaitent, c’est leur partager notre volonté d’agir de manière responsable et préventive en faveur d’un espace sécurisé pour les jeunes que nous servons.
Comment la charte a été accueillie au sein de la communauté ?
DPA : La charte a été présentée et expliquée à tous. Il y a eu un effort de formation au travers de l’étude de la charte, au sein des communautés locales et au séminaire, en particulier au moment de l’envoi en mission des stagiaires et des diacres. Elle est aujourd’hui comprise et acceptée, y compris par ceux qui n’ont pas ou peu d’activité pastorale auprès des jeunes. Elle est normative et prévoit même que le modérateur de la communauté puisse démettre de ses fonctions un membre qui contreviendrait à ces consignes.
Pour les membres de la communauté, la charte ne vise pas à les contraindre car les consignes sont finalement naturelles et réfléchies, mais elle leur donne un espace de liberté éducative. Elle est sécurisante pour les jeunes comme pour les adultes car on agit ainsi dans la clarté. L’actualité pourrait décourager les éducateurs. Nous sommes dans une période de persévérance et de clarification. Cette charte est un gage de liberté pour tous.
Cette charte est-elle appelée à évoluer, en fonction des retours d’expérience ?
VL : Absolument, la charte n’est pas gravée dans le marbre, elle sera nourrie par les retours de terrain que permettent les visites effectuées par les équipes du Conseil interne auprès des communautés qui sont particulièrement engagées dans la pastorale des jeunes. Ces visites sont l’occasion d’échanges et de conseils pour toujours mieux partager cette culture d’attitude. En fonction des problématiques nouvelles posées aux éducateurs par les évolutions de société, cette charte cherchera à y répondre le plus concrètement possible pour rester un outil actualisé à leur service.
DPA : La perfectibilité est très importante. C’est une dynamique qu’on retrouvera dans chaque acte éducatif. Chaque époque ne peut éduquer un enfant de la même manière. La symbolique est différente, le contexte est différent. Face à cela, on peut très bien imaginer des évolutions, où ce qui était impossible devient possible, et ce qui était faisable devient interdit, parce ce que ce qui prime c’est l’interprétation qu’un enfant fait d’un geste ou d’une parole. C’est à l’adulte d’agir en fonction du bien de l’enfant.
Pensez-vous qu’une telle charte peut donner le sentiment qu’il y a un risque zéro, car « on a nos règles » ?
DPA : Ceux qui sont réellement engagés sur le terrain savent que le risque zéro n’existe pas.
L’éducation c’est accepter le risque de la relation. On peut écrire la meilleure charte du monde, mais une relation éducative est une relation entre deux personnes, deux volontés. Pour être édifiante, il convient que ces deux volontés soient bonnes, en particulier celle de l’adulte. Toute œuvre éducative a le devoir de se donner les moyens de disposer ces volontés vers le meilleur. Elle a aussi le devoir de réagir immédiatement quand le bien de l’enfant l’exige, pour si nécessaire, corriger et rétablir ce qui est juste.
VL : Une des difficultés auxquelles un éducateur peut être confronté, c’est la solitude face à un problème ou une situation délicate. Réagir avec bon sens, doigté, efficacité est souvent plus facile à plusieurs. Au travers de la charte et aussi du Conseil qui est mis en place, il y a là une vraie possibilité pour l’éducateur d’être conseillé, accompagné dans sa réflexion et sa gestion des crises.
À tout moment, les Frères peuvent nous appeler s’ils ont un doute… et nous recevons fréquemment des appels, sur l’attitude à tenir, sur le discernement… car l’éducation est avant tout une sagesse pratique.