« Le bonheur de Dieu, c’est d’aimer ! »
Dans la vie de l’Eglise rien n’est laissé au hasard. Ce n’est donc pas par hasard que nous avons pour ce troisième dimanche de l’Avent plus de musique et le retour des fleurs. C’est parce que l’Eglise semble inlassablement tirée vers le haut, vers le ciel, vers la lumière, vers la plénitude, en un mot vers ce que le Christ appellera, comme nous l’entendons dans l’Evangile, la Bonne Nouvelle. La Bonne Nouvelle qui est la nouvelle du Salut, qui est la nouvelle de la joie.
Nous sommes tous des râleurs…
Aussi même dans ce temps de l’Avent, qui est un temps d’intériorisation, de silence, de dépouillement, de réflexion, même pendant ce temps de dépouillement l’Eglise sent le besoin pour elle-même -c’est-à-dire pour nous- de revivre cette exaltation du jour de Pâques, cette exultation du Salut, cette Résurrection du Christ, pour nous rappeler le thème fondamental du message chrétien -la corde modale en quelque sorte de la mélodie du Salut- qui est la joie, centre du message chrétien que nous avons quelquefois, dans notre monde difficultueux, tendance à perdre.
Nous vivons dans un monde de râleurs. Nous sommes tous des râleurs. Souvenons-nous de cette anecdote si drôle des marins génois qui se faisaient enrôler suivant deux sortes de contrats : le contrat avec râlage et le contrat sans râlage qui était plus grassement rémunéré !
Nous sommes tous comme ces marins génois des râleurs. L’église est trop froide, elle est trop chaude. Le curé est trop grand, il est trop petit, il prêche trop longuement, il prêche trop brièvement ; il y a la chorale à droite mais pourquoi ne serait-elle pas à gauche ? D’ailleurs ils ont chanté ce chant mais pourquoi n’ont-ils pas chanté tel autre ? C’est en français mais pourquoi n’est-ce pas en espagnol ou en volapück, voire en javanais… nous sommes tous des râleurs…
L’essentiel c’est la joie du Salut.
Alors fini le râlage ! Revenons à l’essentiel. L’essentiel c’est la joie du Salut. Il nous faut entrer dans l’exultation d’Abraham, de Marie, du Baptiste qui est aussi l’homme de la joie.
Ce troisième dimanche d’Avent, dimanche de Gaudete nous est donné pour voir pourquoi et comment nous réjouir. D’abord : pourquoi se réjouir ?
Le prophète Sophonie nous l’a décrit tout à l’heure dans ce texte si admirable : il faut se réjouir parce que « Le héros du Salut c’est Dieu » et « Dieu Il est en toi » !
Dans cette seule phrase sont rassemblés les deux motifs premiers de notre joie. A savoir que Dieu, de manière inimaginable, est en moi et que ce Dieu qui est en moi est victorieux de la mort, victorieux du mal, victorieux de toutes ces tensions, ces passions, ces bouillonnements intérieurs que chacun d’entre nous ressent et qui sont des passions destructrices. (Il n’y a pas que des passions destructrices mais il y en a et ce sont celles-là qui nous font râler.)
Il y a dans le fond de l’âme humaine depuis la création de l’homme deux désirs, deux instincts, deux tensions : l’homme recherche Dieu, son Principe, (quel que soit le nom qu’il lui donne) et l’homme recherche la victoire sur lui-même. Nous savons très bien ce que signifie pour chacun la victoire sur soi-même : une construction, une paix, un épanouissement… Et voilà que le prophète nous dit : Dieu vainqueur du mal et de la mort, Il est en toi !
« Tu seras son allégresse. »
Voilà les deux principaux motifs de notre joie, mais il y en a un troisième qui est encore plus beau, parce que si ces deux là viennent de moi, de ma psychologie, de ma recherche de Dieu, de la recherche de ma propre victoire, le troisième motif est transcendant !
Ecoutons ce que nous dit le prophète Sophonie : « Tu seras son allégresse. » La joie ne dépend plus de moi, elle dépend de Dieu. C’est la joie de Dieu qui en moi baigne dans le bonheur.
« Tu seras son allégresse. » Moi ? Oui ! Abraham, Marie l’Immaculée, on pouvait le comprendre. Mais moi ? Oui, toi, vous, Dieu est en vous et vous êtes Sa joie.
Alors pensons-nous que nous avons encore le droit d’être tristes ? Nous n’avons plus le droit d’être tristes !
Nous n’avons même plus de raison d’être triste puisque Lui, en nous voyant de l’intérieur, dans notre tréfonds, Dieu nous voyant exulte.
Comment pouvons-nous rester dans la tristesse alors que nous sommes la cause et l’objet de la joie de Dieu ? Si je suis la cause de la joie divine, comment puis-je encore rester en dehors de la joie ?
« L’ami de l’époux voit venir l’époux et il est dans la joie. »
Il faut donc, pour entrer dans la joie, que je réapprenne à voir la joie de Dieu dans mon âme, comme Abraham, comme Marie, comme le Baptiste…
Souvenons-nous de ce que dit le Christ : « Abraham se réjouit de voir mon jour. » Oui, Abraham exulte. Marie, elle aussi, se réjouit dans son Magnificat, que Dieu se soit « penché sur elle » pour y incarner Son Fils. Le Baptiste également se réjouit, frémit, parce qu’il est « l’ami de l’époux, il voit venir l’époux et il est dans la joie ».
Ces trois figures d’Abraham, de Marie, du Baptiste, ces trois colonnes qui sont les exemples de notre foi et les exemples de notre mission de baptisés, ces trois êtres absolument extraordinaires en lesquels l’Eglise pourrait se résumer, Abraham, le Baptiste, Marie ont vu, ont contemplé la joie de Dieu Sauveur, la joie du Christ en eux, et ils exultent.
Voilà ce que je dois réapprendre à voir : je dois me voir moi aussi comme temple de l’Esprit, greffé sur le Christ donc autour du Christ, le Christ en moi. Je dois voir le Père qui fait en moi Sa demeure, je dois Lui dire : « Abba, Père ! » Je dois Le voir en moi, me sauvant !
Descendre en moi pour écouter la respiration divine…
Et c’est pour cela que saint Paul nous demande de prier sans cesse, c’est-à-dire de nous mettre sans cesse face-à-face avec Dieu. C’est cela la prière. Ce n’est pas de réciter des paroles, c’est d’être face-à-face, en Sa présence, sans cesse, du matin jusqu’au soir, durant toute la journée, durant mes activités…
Descendre intérieurement dans le fin fond de mon âme, sur les hauts-fonds de ma psychologie : voilà la véritable psychologie des profondeurs ! Oui, descendre en apnée, cesser de respirer mon ego pour y écouter le silence de Dieu, la respiration divine.
Voir Dieu grâce à cette prière, à ce regard intérieur, à cette contemplation, à ce qu’on appellera l’oraison du cœur parce qu’elle se situe dans le cœur et non pas dans l’intelligence, parce que ce n’est pas par des paroles, mais par le lien de l’amour que je suis relié à Dieu en moi, à Sa présence amoureuse, Sa présence agissante qui frémit de joie.
Dieu frémit de joie en me sauvant en moi-même et, par cette oraison du cœur, par ce silence intérieur, par ce regard intérieur, je détecte cette joie du Dieu sauvant, je la sens, je la palpe, je la touche… Elle se communique : elle me donne la joie d’être sauvé !
« Mon âme exulte en mon Dieu car Il m’a revêtu de vêtements du salut… »
Pour cette raison on peut en conclure que les râleurs sont des gens qui ne prient pas. Lorsque nous râlons c’est que nous n’avons pas prié. Dieu est absent de notre vie. Au contraire lorsque je suis en présence dans ce face-à-face, dans ce cœur-à-cœur, Lui en moi, moi en Lui, moi greffé autour du Christ, le Christ en moi, « enraciné dans la foi et dans l’amour » nous dit saint Paul, je suis dans la joie, je touche la joie de mon Salut. Comme dira Isaïe : « Je suis plein d’allégresse en Yahvé, mon âme exulte en mon Dieu car Il m’a revêtu de vêtements du salut, Il m’a drapé du manteau du salut. »
Et je suis aussi dans la paix de l’amour. Ce sont deux états, deux vertus absolument inséparables chez le chrétien à tel point qu’il ne peut pas y avoir de joie sans paix.
La joie peut être encombrée de toute autre passion. La joie d’ailleurs n’est pas drôle : le Christ en Croix était dans la joie, mais Il ne rigolait pas. Je peux être dans le souci, je peux être dans la fatigue, je peux être dans les ténèbres, je peux être dans la grisaille, mais je suis dans la paix.
Je suis dans la paix parce que je sais que je suis aimé et donc je ne crains rien. Comme je suis heureux d’être sauvé, je suis dans la paix et dans la sérénité -qui bannit la crainte- d’être aimé… C’est saint Paul qui nous le dit : « Que puis-je craindre ? Puisque Dieu est pour moi, qui est contre moi ? »
Le bonheur de Dieu, c’est d’aimer !
Voilà ce que je peux demander dans cette Liturgie du 3ème Dimanche de l’Avent : réapprendre à descendre en moi, réapprendre à découvrir en moi la présence d’un Autre, la présence de Celui qui me donne la Vie, qui me donne l’existence, qui me porte car Il me sauve, qui me guide et m’accompagne, qui me câline car Il m’aime…
Et qui est dans la joie de ce qu’Il fait, non pas à cause de mes mérites, mais parce que c’est Son bonheur d’aimer.
Et lorsque je regarde cette Joie, cet « Être pour l’autre », je ne peux que participer à cette Joie divine et à cette Paix. C’est la grâce que je nous souhaite pour aujourd’hui et pour toute notre année liturgique.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Communauté Saint Martin
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