Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« VIVRE DANS LA VÉRITÉ DE L’AMOUR… »

Lectio divina pour le 4ème Dimanche de Carême
2Chr.36, 1-23 Eph.2, 4-10 Jn.3,14-21

Nous voici au quatrième dimanche de Carême, dimanche que nous connaissons bien, dit de « Lætare », du nom de la pièce grégorienne introduisant la célébration. C’est le dimanche de la joie, étape mise sur notre route pour nous réconforter dans notre marche vers Pâque.

« Frères, Dieu est riche en miséricorde… »

C’est une fenêtre que nous ouvre l’Eglise, dans sa pédagogie, sur le mystère pascal.

Elle l’anticipe en nous le présentant dans toute la richesse de ses fruits, des fruits lourds, goûteux comme les plats du festin eschatologique, des fruits au jus frais et sucré : « Frères, Dieu est riche en miséricorde… »

Et nous savons ce qu’est la richesse, nous y sommes tellement attachés ! La puissance de l’argent, mais aussi la richesse artistique ou spirituelle…  « Dieu est riche en miséricorde. A cause du grand amour dont Il nous a aimés, Il nous a fait revivre avec le Christ… » ! On dirait que saint Paul s’essouffle en s’empressant de nous décrire le don reçu de Dieu et ce vers quoi nous marchons : miséricorde, grand amour, aimés que nous sommes, résurrection des hommes…

Oui, voilà ce vers quoi nous marchons : le mémorial de l’Acte par lequel Dieu nous enfouit sous la richesse de Son amour, la richesse de Sa tendresse. Profusion de grâce et tendresse infinie, libération de la mort et explosion de Vie comme nous le célébrerons dans la Vigile pascale avec le feu nouveau, la lumière et l’eau exprimant la régénération du Cosmos…

« Dieu avait pitié de sa Demeure… »

En un mot, le Salut, la vraie Vie -avant même le Ciel !-, la joie de l’Alliance accomplie dans les limites bien sûr de l’ici-bas, mais avec la perfection que Dieu peut donner à toute chose et nous offre en venant demeurer chez nous, dans notre cœur comme le précisera Jésus dans Son discours après la Cène.

Car, nous l’avons vu et nous ne devons l’oublier : c’est l’Alliance qui est le désir profond de Dieu sur l’homme. C’est elle qui a suscité la Création. C’est encore elle qui oriente l’Incarnation, le Dévoilement de Dieu en Son Fils, jusqu’au dépouillement suprême de la Croix : « Avec le Christ, Il nous a ressuscités, Il nous a fait régner. C’est bien par grâce que vous êtes sauvés ! » nous dira Paul dans la deuxième Lecture.

C’est bien ce que la première Lecture nous suggère déjà lorsqu’elle précise que Dieu a pitié de Sa Demeure.

Car ce n’est pas tant la pitié du Temple que la pitié de notre âme, appelée à devenir demeure divine ! C’est elle qui est finalement en question. C’est notre âme que Dieu veut acquérir pacifiquement pour y reposer, pour S’y reposer avec nous. Pour vivre ‘l’être-avec’ -l’Alliance- qui Le passionne jusqu’à la Passion de Son Fils…

« Que Dieu soit avec eux ! »

Dieu court après nous par Sa mort jusqu’à notre mort pour nous faire Lui ouvrir la porte de notre âme pour S’y reposer, pour y être « lui avec nous et nous avec lui… »

Dieu ne veut pas laisser notre âme vide de Lui, et donc vide de sens, vide de vie, vide même de notre propre personnalité profonde.

Et c’est le cri prophétique que Dieu nous fait entendre par Cyrus, cri qui exprime Son désir d’habiter avec nous : « Tous ceux qui font partie de son peuple, que Dieu soit avec eux ! »

Et s’Il nous le fait entendre il y a si longtemps, c’est pour nous préparer à y répondre le mieux possible, pour nous préparer à recevoir Son Alliance, à y entrer.

« Celui qui le regardera sera guéri. »

Comment répondre à cet appel de Dieu ?

Nous avions vu que l’homme répondait à la proposition de l’Alliance par un « me voici », à la manière d’Abraham partant immoler son fils Isaac. Et identiquement, c’est par l’offrande de soi (notre âme étant en quelque sorte notre enfant…) que se continue la réponse de celui qui veut ‘être-avec’ Dieu.

La première Lecture précise aujourd’hui quelques aspects de ce sacrifice exigible par Dieu en réponse à Son appel.

Tout d’abord : « Qu’ils montent à Jérusalem pour être avec Dieu » ! Il ne s’agit pas seulement de notre marche vers la Jérusalem céleste. C’est de la ville de Palestine dont il s’agit bien puisque c’est de Jérusalem que doit venir le Salut. C’est là en effet que le Christ, Celui qui « nous fait vivre avec Dieu », Celui par qui nous allons entrer dans l’Alliance, est élevé pour y attirer tous les hommes, comme l’accomplissement de l’épisode du serpent de Moïse : « Celui qui le regardera sera guéri. »

Jésus s’élève au-dessus du monde dans le désert de l’humanité qui pourtant était riche -c’était le temps de la Pax Romana-, de l’Empire, Jésus est élevé pour qu’on Le voit qu’on Le croit ! Et qu’ainsi, en croyant, nous ayons la vraie Vie, celle qu’Il veut nous donner par la Loi : « Celui qui croit aura la vie… »

« Celui qui croit aura la vie… »

Croire au Christ ? Si l’on s’en réfère aux paroles que Jésus adresse à Nicodème (véritable perle et synthèse de l’évangile johannique) et que nous venons d’entendre, croire au Christ c’est affirmer qu’Il est la Lumière qui nous éclaire. Le Christ est Lumière : « Je suis la lumière, celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres… » Ce ne sont pas seulement les ténèbres du péché. Ce sont aussi les ténèbres de l’inconnaissance, de l’ignorance, du tâtonnement…

Croire au Christ, c’est affirmer également avec Lui qu’Il est la Vie. C’est dire donc qu’Il est la Lumière de la Vie, la Lumière de notre Vie. Ce ne sont pas seulement nos lois, notre éducation, notre groupement social ; tout cela a sa place, toute sa place mais rien que sa place. La Lumière fondamentale de notre vie si nous sommes croyants, c’est le Christ.

C’est cela la foi, c’est venir dans Sa Lumière pour y mettre ma vie et ma mort qui n’est rien d’autre que le dernier acte de ma vie terrestre ! Et ceci afin qu’Il les éclaire et qu’Il me montre la voie que Dieu a tracée pour moi, pour reprendre l’expression de Paul dans la deuxième Lecture : « pour que nos actes soient conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous… » Il ne s’agit pas seulement de ma vocation première de baptisé : homme marié, consacré, religieux… Il s’agit du balisage de ma route au quotidien. Avec son cortège de joies, de peines et de souffrances, de surprises aussi et de questions…

Et c’est cette voie qui déterminera face à notre conscience quels sont les actes bons pour nous…

« Pour que nos actes soient vraiment bons… »

Avoir la foi, c’est affirmer qu’en présentant ma vie à la Lumière de Jésus, en me laissant éclairer par la Lumière du Christ et de Son Evangile, se révèle (comme le procédé photographique, et c’est toute la beauté du Linceul du Christ d’ailleurs !), face à ma conscience ce qui se définit comme l’acte bon.

Ceci est important. Ce n’est pas une morale de situation. Cela ne veut pas dire que la bonté dépende uniquement de ma situation. Cela veut dire que mon acte dans la plénitude de sa bonté, celui que Dieu va juger tel pour moi ne sera pas forcément le même acte bon pour celui qui, à côté de moi, n’a pas la même vocation, qui n’a pas la même route. C’est dire que cet acte bon se révèle dans la Lumière de Jésus, encore une fois comme par un procédé photographique face à ma conscience. Il y a donc pour déterminer la bonté de mon acte : Dieu, le Christ et Son Evangile, ma conscience.

Ce n’est pas seulement la bonté, je dirais fondamentale, l’éthique naturelle de base : ne pas voler ne pas tuer… Cela va bien au-delà : la manière de parler, la manière de recevoir, la manière de souffrir, la manière de vivre comme de mourir, la manière de constituer un couple, la manière d’éduquer un enfant, la manière de travailler, de conduire même, que sais-je encore…

Kyrie Eleison…

Aussi pouvons-nous dire que l’offrande de soi faite comme réponse pour entrer dans l’Alliance avec Dieu, c’est d’abord l’hommage de notre foi. C’est un peu ancien Régime, voire féodal, c’est vrai ! Mais Dieu n’est-il pas le Seigneur, Kyrios en grec ? Kyrie Eleison, Seigneur prends pitié de ton humble vassal, pauvre pécheur, pauvre chrétien indigne…

L’hommage de notre foi ce n’est pas non plus un processus uniquement intellectuel : je suis chrétien, je lis tous les textes pontificaux, j’apprends par cœur le Magistère… Non !

L’hommage de la foi comme nous le rappelle l’Evangile c’est l’amour de la Lumière qui nous pousse à rechercher à vivre in veritate, dans la vérité. C’est l’amour de la Lumière que Dieu me donne à chaque heure pour que je puisse répondre à l’évènement, à la réalité, pour que je ne sois pas surpris dans mon humanité limitée, dans mon intelligence, ma psychologie, ma sensibilité -qui sont limitées-, par toute cette structure humaine et de péché qui m’assaille et devient occasion de chute. Voilà ce qu’est l’offrande de soi : la recherche honnête pour marcher in veritate sur la route que le Christ me révèle dans la Lumière de Son Evangile.

Mettre ma vie dans la Lumière du Christ, y compris dans l’ombre lumineuse de la Croix !

« Sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père… »

On ne peut faire l’économie de ce passage par lequel le Christ est « passé de ce monde à son Père. » C’est la pâque, c’est Sa Pâque qui nous invite à la nôtre. C’est le passage obligé du Christ pour vaincre la mort et s’introduire avec l’Humanité dans la Vie éternelle.

C’est pour cela que la mort de Jésus qui mène à la Vie est en fait une élévation, non un échec ni une destruction. De même notre mort à nous-même, notre dépouillement est-il une élévation puisque cela nous ouvre la route de la Vie et le chemin du Ciel : « Qui s’abaisse sera élevé » !

C’est dire donc que le sacrifice que je pose pour entrer dans l’Alliance n’est pas une trappe qui m’engloutirait dans le shéol mais bien au contraire un tremplin qui m’élève dans les airs comme « Tu renouvelles, comme l’aigle, ma jeunesse », c’est-à-dire mon humanité.

« Qui s’abaisse sera élevé » !

Voilà ce qu’on doit se dire face à la peine que nous avons à nous quitter nous-mêmes à renoncer à telle passion, à telle faiblesse… Oui, pensons-y lorsque nous sommes face-à-face avec ces peines que nous ne pouvons pas dédaigner parce qu’elles sont les peines de notre nature, lorsque nous souffrons, lorsque nous perdons un être cher, lorsque nous sommes attaqués par le mal, par des processus physiques, moraux, économiques que nous ne pouvons pas refuser et qui nous brisent humainement parce que nous avons une sensibilité, nous avons un corps, nous avons une âme, nous avons un cœur…

Nous y pensons… Et nous savons que c’est même là que se situa la joie de Jésus : « Que j’aimerais tant que déjà ce baptême se soit produit ! » Parce que de ce baptême, c’est-à-dire la Croix, dépend le Salut de l’humanité. C’est là que naît, que s’enracine la joie chrétienne. Vous comprenez comment il faut le dire, délicatement… La joie dans la souffrance oui, mais à cette condition de bien comprendre et la joie et la souffrance…

Nous pensons d’ailleurs à ce que Jésus nous a dit : « La femme qui enfante crie dans la douleur mais elle est heureuse d’avoir donné la vie. » De même l’âme qui s’enfante à Dieu gémit aussi dans les douleurs de cette opération ; mais sa joie est grande quand elle découvre Dieu qui, tel un enfant, repose en elle. Sa joie est immense quand elle se découvre œuvre de Dieu à la Lumière du Christ ; lorsqu’elle se voit « œuvre de ses mains, faite pour être belle » selon les paroles d’Isaïe. Et cette joie incommensurable, nul ne pourra jamais la lui ôter.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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