« LA PLÉNITUDE DE LA LOI, C’EST L’AMOUR ! »

L’Histoire du Salut se structure autour de cet axe et c’est tout au long de l’Ecriture que l’on rencontre ces deux réalités que sont le sacrifice (nous pensons à celui d’Isaac que nous avons lu dimanche dernier) et la Loi (nous nous souvenons de Jésus se transfigurant en compagnie de Moïse et d’Elie).

Nous saisissons donc la nécessité, pour nous baptisés, de comprendre, c’est-à-dire de ‘prendre-avec-nous’, toujours plus, le mystère de l’Alliance, de ‘l’être-avec-Dieu’ qui vient à nous par le don de la Loi et en qui nous nous engageons par l’offrande libre de notre vie.

Le Sang de l’Alliance nouvelle et éternelle…

Nous sommes confrontés par l’évangile de ce troisième dimanche de Carême à une problématique qui n’est pas simple et qui concerne la Loi et le sacrifice, plus précisément la Loi nouvelle et le sacrifice nouveau. De quelle manière faut-il donc comprendre ce terme de Loi nouvelle ou de sacrifice nouveau d’Alliance nouvelle et éternelle qui est conclue dans le Sang de Jésus ?

L’évangile d’aujourd’hui nous propose en effet l’épisode original des vendeurs chassés du Temple. Je dis original car c’est l’unique fois où nous est donné de voir (et pas seulement d’entendre !) le Sauveur en état de révolte. L’évènement est suffisamment marquant pour que l’on s’y arrête et que l’on cherche à en découvrir le sens profond concernant justement la nouveauté de la Loi et la nouveauté du sacrifice.

« Mais le temple dont il parlait, c’était son corps. »

Nous pouvons donner au moins deux raisons à l’attitude du Christ.

Jésus se fâchant contre les vendeurs situés dans l’enceinte du Temple s’élève contre le trafic qui entoure les actes cultuels par lesquels les croyants expriment leur dévotion envers Son Père.

Trafic car c’est un véritable monopole instauré par cette classe des vendeurs de bêtes par lesquels on est obligé de passer pour se procurer l’animal à offrir. Là seulement il est certifié conforme au culte. (On retrouve cette coutume dans le certificat de nourriture casher délivré par les rabbins moyennant obole.)

Trafic encore car les bêtes vendues sont de qualité médiocre, contrairement à ce que désirait l’esprit de la Loi demandant la meilleure bête du troupeau.

Trafic enfin car ces pauvres animaux n’étant pas tous égorgés, la plupart d’entre eux se retrouvaient sur l’étal du vendeur dès le lendemain pour être à nouveau proposés à l’ignorante populace…

La deuxième raison du geste de Jésus est sans aucun conteste plus profonde, si elle n’en est pas plus significative des difficultés de la relation entre Dieu et Son peuple.

Cette raison est qu’avec Jésus, le Temple ne sera plus le lieu du sacrifice et la notion elle-même de sacrifice va se transformer totalement ! Ne le dit-Il pas Lui-même lorsqu’Il prophétise Sa mort et Sa Résurrection : « Détruisez ce temple et moi, en trois jours, je le relèverai… Mais le temple dont il parlait, c’était son corps. »

C’est dire que le nouveau lieu du sacrifice, c’est Jésus ; la nouvelle victime c’est Jésus, le nouveau prêtre, c’est Jésus !

 « Je ne suis pas venu abolir la Loi… »

D’où des questions que l’on peut légitimement se poser : pourquoi le sacrifice -réponse de l’homme à la Loi- doit-il être transformé ? Et la Loi, le second élément de l’Alliance, n’a-t-elle pas besoin d’un pareil changement ? D’ailleurs ne parle-t-on pas de Loi Nouvelle ?

Nous répondons immédiatement à la deuxième interrogation. La Loi vient de Dieu, comme nous le rappelle la première Lecture tirée du Livre de l’Exode.

Le ressort intérieur de la Loi, c’est l’Amour infini de Dieu ; ce sont les Paroles de vie que Dieu nous transmet pour entrer dans l’Alliance. La Loi, c’est Sa vie intime exprimée en mots humains. C’est l’amour ! D’où le chant du Psalmiste la disant « parfaite, réconfort pour l’âme, joie pour le cœur. »

Il n’y a donc aucun besoin de la transformer. Jésus ne se contentera pas de justifier la Loi en Se transfigurant au côté de Moïse ; mais Il soulignera violemment son caractère intangible : « Je ne suis pas venu abolir la Loi… Malheur à celui qui enseignerait de ne plus la respecter ! »

« L’amour, c’est la plénitude de la Loi… »

Par contre, le sacrifice est l’expression de la conversion de l’homme qui se tourne vers Dieu pour entrer dans Son Alliance. Il est donc évident que le sacrifice  de l’homme ne peut atteindre en lui-même la perfection !

Qu’est-ce qui rend en effet la Loi de Dieu parfaite ? C’est l’amour infini de Dieu. D’où l’exclamation de saint Paul : « L’amour, c’est la plénitude de la Loi… »

Et donc le sacrifice de l’homme est imparfait car l’amour de l’homme est imparfait, limité contrairement à la perfection de l’Amour divin que Dieu exprime dans Sa Loi.

Oui, le sacrifice, comme réponse humaine au don de Dieu est imparfait à cause seulement de l’imperfection du cœur de l’homme. D’où les multiples dérapages que Dieu fustige dans la Bible : « Vos sacrifices, je n’en veux pas… ils sont faux, aussi en suis-je rassasié… »

« Soyez saints car je suis saint ! »

Dieu met l’homme en garde sur l’inefficacité de sa réponse, de sa conversion, de son sacrifice.

Mais Il l’éduque aussi : « Ce que je veux, c’est un cœur brisé… », « C’est le repentir qui me plaît… », « Le vrai holocauste, c’est la délivrance de l’opprimé, la défense de la veuve, l’accueil de l’étranger… » En un mot : l’amour ! L’amour à l’image de l’Amour divin : « Soyez saints car je suis Saint ! »

Dieu désire un amour parfait en réponse à la perfection de Son Amour qui nous a donné Sa Loi. Il veut une réponse parfaite, c’est-à-dire un amour parfait menant à une conversion parfaite, vraie, intérieure, exprimée par un sacrifice parfait : « Ne déchirez pas vos vêtements mais votre cœur » dira le prophète Joël.

« A ces conditions-là qui peut entrer dans le Royaume de Dieu ? »

Mais n’est-ce pas impossible ? Comment Dieu peut-Il exiger de Ses créatures fragiles la perfection que Lui seul détient ? « A ces conditions-là, dira Pierre, qui peut entrer dans le Royaume de Dieu ? »

Alors nous nous sentons écrasés, nous démissionnons, laissant la sainteté à la classe des saints Benoît, Bruno…, des âmes consacrées que nous admirons de loin.

Mais justement, Dieu la détient cette perfection, mais comme une source. Ainsi L’avons nous invoquée dans la Collecte : « Tu es la source de toute bonté… » Or le propre d’une source n’est-il pas de se répandre ? Ainsi le Christ a-t-Il pu promettre que pour l’homme, avec Dieu tout est possible…

C’est pour cela que le Christ est venu ! C’est pour cela que Jésus est là.

Jésus va dire le oui par le retournement de Sa personne

Jésus est Celui qui, en tant qu’homme, parfaitement homme, homme comme chacun de nous, du sang de Marie, Jésus parfaitement homme va poser une réponse à la Loi infiniment parfaite de Dieu dans un Amour infiniment parfait, créé mais parfait.

Il va donner le oui comme réponse, le oui de ce retournement de Sa personne, de cette eucharistie vers le Père. Il va offrir Sa vie en sacrifice parfait, Il va, en un mot comme Il le dit lui-même, non pas abolir mais accomplir, vivre l’Alliance avec Dieu proposée dans la Loi.

Voilà ce qu’est venu faire Jésus : aimer de tout Son cœur, de toute Son âme, de tout Son esprit l’Unique et aimer Son prochain comme Lui-même ! Il est venu accomplir la Loi, c’est à dire, vivre parfaitement cette Loi parfaite, en aimant parfaitement ! « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie… » disait-Il au seuil de Sa Passion que nous célébrerons bientôt.

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie… »

C’est cet Amour parfait qui entraînera le Christ sur la voie du sacrifice ; un sacrifice alors nouveau car mû totalement par l’Amour infini qui dirige cette vie. Oui, ce qui rend le sacrifice nouveau, c’est qu’il est, pour la première fois, une réponse parfaite à la Loi parfaite de Dieu. Cette Loi donnée à Moïse, celle-là même que nous venons d’entendre -les dix Commandements immuables- cette Loi reçoit enfin en réponse l’Amour aussi total d’un homme vers Dieu que Celui qu’elle contient et qu’elle exprime de la part de Dieu pour l’homme !

Ce qu’on appelle la Loi Nouvelle n’est donc pas une nouvelle Loi. Comme si les Béatitudes différaient des Commandements ! Mais elles sont toutes les deux Paroles de Vie ! Les béatitudes ne sont rien d’autre que la Loi Ancienne vécue en acte d’amour infini par le Christ. C’est un des motifs pour lesquels on passe des préceptes négatifs des dix Commandements aux préceptes positifs des huit Béatitudes…

A sacrifice nouveau, sanctuaire nouveau…

On comprend alors que l’ancien Temple -à savoir le lieu du sacrifice- puisse être détruit, comme l’annoncera Jésus en saint Matthieu et remplacé par un nouveau temple, le Corps du Christ contenant Son âme, Son cœur, en un mot ce qu’Il offre à Son Père, comme victime du sacrifice d’Amour. A sacrifice nouveau, sanctuaire nouveau…

Mais alors, nous qui sommes assimilés au Christ par le Baptême -au point de devenir membres de Son Corps et donc d’être vivifiés par Son âme et Son cœur-, nous devenons à notre tour des temples de Dieu. Nous sommes ces Temples de l’Esprit, dont parle Paul. Nous sommes des temples de l’Amour divin qui réside en notre cœur (la vertu de charité).

« Vous êtes le temple de Dieu… »

Nous contenons ce même amour qui fut en Jésus et qui Le poussa à S’offrir à Son Père, à répondre à la Loi. C’est cet amour qui nous permet de nous offrir à notre tour « en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » !

Nous offrons notre cœur dans le Cœur de Jésus qui S’offre en nous.

Ce n’est pas nous bien entendu comme les Justes de l’Ancien Testament qui offrons nos pauvres personnes ! Mais assimilés que nous sommes à Jésus par le Baptême, portant dans notre cœur le Cœur de Jésus S’offrant au Père, nous pouvons effectivement immoler, donner, offrir notre cœur, notre âme à Dieu en Jésus-Christ et ainsi, comme le Christ, vivre parfaitement, accomplir parfaitement la Loi de Dieu : « Tu aimeras ton Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces. »

Le sacrifice nouveau n’est plus l’immolation de bêtes, mais bien le don de notre cœur en union avec le don du Cœur de Jésus.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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