Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
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Lectio divina pour le 26ème Dimanche Ordinaire – Année C
Am 6,1-7 1Tim 6,11-16 Lc 16,19-31
Il y a beaucoup de riches qui tremblent en entendant cet évangile, et beaucoup de bourgeois à qui l’on a fait peur pendant des années… Rassurez-vous, gens de fortune, ce ne sont pas les riches qui sont d’abord remis en question : ce sont tous les hommes dans leur capacité d’écouter la Parole de Dieu !
« L’homme ne se nourrit pas seulement de pain… »
Je crois plutôt que c’est la finale de l’Évangile qui devrait nous effrayer, lorsqu’Abraham répond au riche : « S’ils ne sont pas capables d’écouter la Parole et les prophètes, même si un mort ressuscitait, ils ne seraient pas convaincus. »
Nous sommes tous, peu ou prou, dans cette situation, dans cette incapacité au moins partielle d’entendre la Parole de Dieu, de l’entendre au sens où le Christ nous le demande : c’est-à-dire de la garder dans notre cœur comme l’énergie de notre vie, de la faire réellement nôtre.
Nous comprenons bien qu’il ne s’agit pas d’expliquer l’Évangile par une dialectique de classe en disant : tous les riches sont damnés et tous les pauvres sont sauvés. Ce serait trop facile… Il nous suffirait de sortir de notre église paroissiale, de nous dévêtir à la Saint-François, de nous mettre sous le porche pour faire la mendicité et nous assurer ainsi la Vie éternelle !
« Nous sommes tous membres les uns des autres »
Il ne s’agit pas non plus -là, cela devient plus délicat !- de penser qu’il suffit au riche de donner une pièce pour acheter sa justification. La nourriture matérielle que nous donnons aux autres est essentielle, c’est vrai. Mais elle n’est pas suffisante. L’aide humanitaire relève de la simple philanthropie comme cela se produit déjà chez les animaux qui font corps et peuvent s’entraider mutuellement. C’est déjà beau, mais il nous faut aller plus loin.
Notre fraternité se fonde, elle, sur une Paternité commune et unique : celle de Dieu. Notre fraternité est donc essentiellement spirituelle et c’est donc au niveau de l’esprit qu’elle doit s’exercer et non au seul niveau du physique. L’homme a besoin pour s’accomplir d’une autre nourriture que celle du corps : tout homme est appelé à la recevoir et tout homme a le devoir de la donner.
« C’est à cette Vie éternelle que tu as été appelé. »
Quelle est cette nourriture dont tout homme a besoin pour s’accomplir ? L’homme est un être vivant, l’homme est le vivant par excellence dans le monde créé. Il est celui dont les philosophes disent qu’il est véritablement une substance, c’est-à-dire quelque chose qui résiste, qui subsiste. Il est bien sûr l’être participé ; il n’est pas l’être en lui-même mais il est l’être dans une perfection inégalée au niveau des créatures : nous avons le monde minéral, nous avons le monde végétal, et, au sommet, nous avons le monde de l’homme.
Donc l’homme va s’accomplir dans une vie, une vie sans limite, une vie de plénitude, ce que, dans notre foi chrétienne, nous appelons la Vie éternelle, la Vie qui n’a pas de fin et qui est parfaite. C’est là notre vocation. Saint Paul nous le rappelle dans la lecture : « C’est à cette Vie éternelle que tu as été appelé. »
L’homme est appelé par Dieu, comme le furent Adam, Abraham, Paul… Il est désiré pour cette Vie éternelle, et par elle, il est aimanté !
« Continue à bien te battre… »
Saint Paul nous donne les moyens pour parvenir à cette Vie, pour répondre à cette vocation.
Il y a d’abord la foi qui consiste à croire, en cette vocation. Est-ce que nous croyons au Ciel ? Ce n’est pas si sûr… Rien qu’à voir la manière dont nous amassons les biens ! « Pauvre fou, ce soir même tu disparaîtras… » dit l’Évangile. Donc, le premier moyen est de croire à cette vocation à la vie sans fin à laquelle nous sommes appelés, pour laquelle nous avons été aimés et créés…
Puis, il y a l’amour, c’est-à-dire le moyen dès ici-bas de se préparer à vivre en plénitude cette vocation, ceci n’étant rien d’autre que le partage éternel de la Vie divine qui est Amour.
Saint Paul nous parle ensuite de la persévérance qui consiste à garder toujours la direction, à marcher toujours vers notre fin quels que soient les obstacles, à commencer par celui de notre propre pauvreté intérieure,( et) qui fait chuter et rechuter continuellement. C’est pourquoi Jésus nous recommande dans l’Évangile de ne pas regarder en arrière, de ne pas nous arrêter sous prétexte de cette faiblesse congénitale du vieil homme que seule la grâce pourra nous faire vaincre progressivement : « Celui qui met la main à la charrue et qui se retourne n’est pas digne du Royaume. »
« Dieu qui manifestes ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié… »
Mais il y a une autre condition qui pourra nous sembler bien étrangère à ces trois vertus plus connues que sont la foi, la persévérance et la charité.
Saint Paul nous parle de la douceur. Il ne s’agit pas évidemment de la douceur de façade du style commercial. Il s’agit de la Douceur de Dieu.
Pourquoi Saint Paul nous demande-t-il de vivre dans la douceur pour marcher vers notre Vie éternelle ? Parce que la douceur, qui se manifeste, entre autre, par la patience et la miséricorde, la douceur est l’attribut peut-être le plus original et spécifique de Yahvé. La preuve en est qu’on l’allie à Sa Toute-Puissance comme le fait la Collecte au début de la Liturgie : « Dieu qui manifestes ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié… »
Comment Yahvé se définit-Il dans la Parole, si ce n’est par cette patience : « Même si ta mère t’abandonnait, je ne t’abandonnerai pas… » , « Tu m’as trompé, tu t’es moqué de moi, tu as adoré les faux-dieux, mais maintenant, je te pardonne, j’ai pitié de toi… »
L’eidos, la forme de la Vie divine, la définition de la Vie de Dieu, c’est la Douceur, c’est-à-dire la patience, la miséricorde et la pitié. Donc la forme de la Vie éternelle, la forme de la Vie parfaite, c’est cette Douceur.
Et pour que l’homme puisse s’accomplir dans la Vie éternelle, il faut que, dès ici-bas, il donne à sa vie terrestre la forme de la Vie divine, c’est-à-dire la miséricorde, la patience et la pitié. D’où la prière de la collecte -toujours elle !- qui donne le sens à notre Eucharistie dominicale : Donne-nous ta grâce, Seigneur, c’est-à-dire donne-nous de participer à cette Vie divine que nous venons de définir, de reconnaître comme étant miséricorde et pitié, patience… Donne-nous cette grâce, donne-nous de participer à cette douceur afin que nous méritions le bien que Tu promets, afin que nous méritions d’entrer dans cette Vie en plénitude toute faite de Ta Douceur infinie !
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » !
Pratiquement, à quoi cela nous engage-t-il ?
Cela nous engage à apprendre à nous voir nous-mêmes, et à voir les autres comme Dieu nous voit et comme Dieu voit nos frères. Cela nous engage à nous aimer nous-mêmes, et à aimer les autres comme Dieu nous aime et aime nos frères. Cela m’engage à porter sur moi-même et sur mes frères ce regard de patience miséricordieuse qui, comme disait le Cardinal de Bérulle n’est pas une impuissance à sévir, mais une volonté d’aimer qui ne se reprend jamais !
C’est difficile, nous le savons. C’est très difficile de pardonner sans fin dans la vie familiale, dans la vie professionnelle, dans la vie civique… C’est difficile de pardonner sans mesure, de ne jamais se reprendre et de laisser toujours ouverte la porte de notre cœur (ouverte )(comme dans l’Évangile du fils prodigue), pour attendre le retour de la brebis. Cela demande un effort, et surtout une grâce…
« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien… »
…Et donc cela demande une prière ! Car il ne suffit pas d’attendre sans rien faire le retour du prodigue, il faut prier pour qu’il retrouve la route du retour, il faut, spirituellement, le prendre sur nos épaules comme le dit Jésus en parlant du pasteur et de la brebis blessée…
C’est le sens du Pater. Nous recevons le pain quotidien puisque à chaque fois que nous nous approchons de l’Eucharistie ou du sacrement de la Réconciliation, nous sommes embrassés par cette miséricorde et cette patience.
« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien… pardonne-nous nos offenses… » Nous devons nourrir nos frères de ce même pain, c’est-à-dire de cette même divine patience dont nous avons été nourris, de cette même miséricorde dont nous avons été bénéficiaires : « Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
Nous avons reçu gratuitement, à chaque instant, parce que Dieu porte sur nous un regard plein de tendresse, plein de pitié, plein d’amour. Alors, donnons gratuitement, les uns aux autres, en famille, en communauté, dans la Cité… Donnons cette miséricorde, cette patience, donnons cette douceur de Dieu afin de mériter d’entrer dans la Vie éternelle quand nous quitterons cette terre.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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