Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
« AU CŒUR DU MONDE JE SERAI L’AMOUR. »
Lectio divina pour le 8ème Dimanche Ordinaire Année C
Sir. 27, 4-7 1Cor. 15, 54-58 Lc. 6, 39-45
Laissons de côté les deux premières sentences de l’évangile de ce 8ème Dimanche Ordinaire pour nous tourner vers l’enseignement central regardant ce qu’on appelle la correction fraternelle : le fait de se dire des choses, de chrétien à chrétien, dans le couple, dans la famille, dans une communauté…
J’admire d’ailleurs la sollicitude de la Providence divine qui semble régler notre croissance spirituelle avec tant de douceur et beaucoup de naturel. Je pense en effet à ce passage de l’évangile sur l’arbre et le fruit qui nous propose une discipline du jugement sur le prochain et une discipline de la parole porteuse de ce jugement, juste à l’orée du Carême. N’est-ce pas bien choisi pour nous qui péchons souvent par la langue ?
L’arbre de Vie et l’arbre de la renaissance…
Jésus, en faisant référence à l’arbre, rappelle implicitement une vérité profonde. La voici : la Création est bonne, elle est exposée dans l’Eden. Dans cet Eden il y a un arbre : l’arbre de Vie ; comme il y aura l’arbre de la Croix : arbre de la re-naissance… Cette vérité se positionne donc parfaitement avant le Carême puisque le Carême est orienté vers la Croix et la Résurrection pascale.
Jésus, par cette image, veut nous montrer que l’homme, qui est le sommet de la Création, est appelé à la vie. Il est appelé à croître, il est appelé à donner du fruit. Ce fut le cas d’Adam et Eve, c’est le cas de chacun d’entre nous depuis notre Baptême. Le Baptême nous plonge dans un nouvel Eden qui est un Eden intérieur, un paradis spirituel dans lequel Jésus se complaît avec Son Père et l’Esprit dans la communion des saints.
« Dieu et mon âme… »
Voilà pourquoi curieusement Jésus image Son discours avec ce thème de l’arbre et du fruit. Alors nous pouvons nous poser la question : quel doit être notre fruit, puisque le fruit est l’image de la vie, puisque le fruit est l’image de ma vie dont je suis responsable devant Dieu et devant les hommes ?
On oublie souvent de le dire, les deux seules réalités stables qui sont dans l’univers, dans mon univers personnel : c’est Dieu et mon âme, comme aimait à dire le Cardinal Newman dont la cause de canonisation avance à grands pas ! Tout le reste change, tout le reste se meut, tout le reste meurt. Il n’y a que ces deux réalités qui sont face à face, l’une dans l’autre, l’âme en Dieu depuis le Baptême et Dieu en l’âme depuis la Création, dans une relation amoureuse.
« La gloire de mon Père c’est que vous alliez et portiez du fruit… »
Car Dieu me confie mon âme pour que je la façonne, que je lui fasse produire du fruit : « La gloire de mon Père c’est que vous alliez et que vous portiez du fruit… »
Ce sont ces fruits-là que je lui présenterai au jour du jugement. C’est vrai que, le jour du jugement, je viendrai avec ma misère, mes péchés et mes faiblesses et que je serai jugé par la Parole. Mais il est vrai aussi que j’apporterai mes fruits, les fruits de mon âme c’est à dire les fruits de mon Dieu dans mon âme.
Alors quel est le fruit que je dois porter en tant que chrétien ? Quelle est la caractéristique de ma vie à moi disciple du Christ ? Puisque, dit l’Evangile, l’arbre se reconnaît à ses fruits, on reconnaîtra mon adhésion à l’Evangile si je porte le fruit de l’Evangile.
Et le fruit de l’Evangile est unique : c’est le Christ ! Le Christ est le fruit de la Parole. Il en est l’expression concentrée. Il en est le suc.
« Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. »
Mais je ne peux pas être le Christ par rapport aux autres, face aux autres, je ne suis pas le Christ, ma personne n’est pas la personne du Christ…
Pourtant elle m’est donnée pour être la représentation du Christ face à mon prochain par la vie de l’amour. C’est pour cela que Jésus, peu avant de mourir, résume Son enseignement en disant : « C’est en vous aimant les uns les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. » Ce n’est même pas la sagesse, ce n’est même pas la compréhension subtile de la Parole de Dieu, -Pierre était-il très malin ?- c’est l’amour, c’est le don !
Et comme le disciple doit égaler le Maître, l’amour que je dois porter dans ma vie, l’amour qui doit être la lumière de ma vie, doit égaler l’Amour que le Christ a Lui-même porté : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ».
Nous sommes donc appelés à porter du fruit autant que le Christ a porté le fruit. Nous sommes appelés à vivre dans une dynamique de l’amour qui va aller jusqu’à se confondre avec la dynamique amoureuse de Dieu, avec la force de l’Amour de Dieu présent depuis la Création et dans la Création. Cette force, ce mouvement atteindra le sommet de la charité en Son Fils Jésus, l’Homme Nouveau, Celui qui est l’instrument de la Création et Celui aussi par lequel la re-Création se produit, grâce au don de Sa vie : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ».
« Au commencement était le Verbe… »
En Jésus se concentre donc visiblement tout l’Amour de Dieu et je suis appelé, pour être disciple de l’Evangile, pour être arbre créateur, pour être arbre de vie, je suis appelé à me fondre et me confondre par l’amour en l’Amour de Dieu. C’est important de s’arrêter, de réfléchir sur cette vocation première.
Luc va préciser, en parallèle avec la première Lecture de Sirac, que cet amour doit être concret : c’est un amour qui veut du bien, c’est un amour qui prie, c’est un amour qui prête, qui donne.
Cet amour va se concrétiser aussi par ma parole.
La parole est une réalité sacrée. C’est le Verbe. Dieu est Parole et, à côté de cette Parole, nos paroles humaines sont vraiment bien vaines… Nous devrions y réfléchir d’autant plus que, comme le dit saint Paul, « Tout ce qui est mortel va revêtir l’immortalité », donc je vais traîner au Paradis toutes les vacuités prononcées à longueur de vie, à longueur de journée… Ce sont les paroles dites, les paroles écoutées, les paroles lues, toutes les heures passées devant la télévision à se bourrer le crâne d’inepties… Et je vais trimbaler ça dans l’éternité, dans mon ciel ?!
« La parole bonne manifeste un cœur bon. »
La parole a donc d’abord un caractère sacré. Elle est tellement sacrée, elle est tellement subtile (puisque c’est par la Parole que Dieu crée) que, bien entendu, c’est aussi vers elle que le Malin va venir pour travailler, pour la dévoyer, pour la gauchir. Relisons l’épître de saint Jacques qui nous décrit la langue comme un des instruments les plus perfides du péché. Le Logos, le Verbe d’un côté, et de l’autre le Malin.
Luc fait préciser à Jésus, en reprenant Sirac le sage, que l’amour que nous devons produire comme fruit dans notre vie doit se situer aussi dans la parole : « De même que l’arbre bon est manifesté par son fruit bon, de même la parole bonne manifeste un cœur bon ».
Nous avons là un moyen bien concret, précis et vraiment quadragésimal, puisque le Carême est un temps de désert et de silence.
S’établir dans l’Amour…
C’est d’autant plus important que la parole est l’instrument privilégié de nos relations humaines et donc de nos relations fraternelles.
Le Christ passe ainsi de l’amour à la parole et de la parole à la relation fraternelle et à la correction évangélique en usant d’une autre image : celle de la paille et la poutre : « Qu’as-tu donc à déplorer la paille qui est dans l’œil de ton frère alors que tu ne vois même pas la poutre qui est dans le tien ? »
Que veut dire le Christ ? Il ne veut pas dire seulement : puisqu’on est sales nous-mêmes on ne va pas juger les autres ! Cela relèverait de la politique moderne : chacun sa corruption, à droite comme à gauche… On s’échange un ministre contre un candidat à l’élection parlementaire… Je te balance une écoute téléphonique et tu me renvoies un espion… Non ! Cela c’est de la politique, ce n’est pas de l’Evangile !
Le Christ veut dire qu’il faut d’abord aimer absolument celui que l’on veut ou que l’on doit reprendre.
Il faut aimer, c’est dire qu’il faut être dans la charité de Dieu. Il faut que je sois dans un état de grâce, un état de charité. Il faut donc que je reconnaisse mes propres faiblesses. Il faut que je passe par l’aveu de ces faiblesses afin de retrouver la perfection de ma relation à Dieu qui est l’Amour, la Charité. Il faut donc que j’enlève la poutre que j’ai dans mon œil.
Oui, il faut absolument aimer, donc aimer mon Dieu, m’aimer aussi moi-même, aimer bien sûr l’autre de charité. Il me faut être en phase avec Dieu pour pouvoir reprendre mon prochain. Sinon je suis sûr de ne pas être ajusté, je suis sûr de laisser passer dans mes paroles, qui peuvent avoir une part objective, un peu d’aigreur, plus de vinaigre que de sel qui donne saveur…
Il faut donc que je m’établisse d’abord dans l’amour.
« Quel homme méprisable ! Tuons-le ! -Cet homme c’est toi. »
Et ce n’est pas facile d’enlever la poutre qui est dans mon œil ! Souvent, plus elle est grosse moins je la vois. Souvenez-vous de David et de la femme d’Urie le Hittite. Il convoite cette femme, il lui fait un enfant et il fait tuer le mari ! Pour un roi oint de la cité de Sion ce n’est pas franchement joli ! N’oubliez pas que c’est David qui a écrit les psaumes : c’était donc un homme de Dieu… Homme de Dieu, faute évidente…
Il faudra pourtant à ce pauvre Nathan inventer toute une parabole pour convaincre David de son péché. Nous nous souvenons de l’histoire : un homme riche a un grand troupeau ; près de lui un pauvre qui n’a qu’une brebis. Le riche invite ses amis et au lieu de prendre une brebis de son troupeau, fait abattre l’unique petite brebis du pauvre. Et David de dire alors : « Quel homme méprisable ! Tuons-le ! – Cet homme, c’est toi. », lui rétorque Nathan. Voilà ce qu’il a fallu pour faire comprendre à David qu’il avait une poutre dans l’œil !
Donc le travail pour enlever sa poutre est extrêmement délicat. Et tant que je ne l’ai pas enlevée, non seulement je ne suis pas dans la charité, mais mon regard n’est pas clair, je suis gêné comme ayant une poussière dans l’œil. Ce n’est pas pour rien que Jésus prend cette image ! Voyant mal, je risque de prendre ce qui n’est qu’une ombre de paille pour une véritable brindille dans l’œil de mon frère.
« Ensuite va enlever la paille de ton frère. »
C’est d’autant plus important que le Christ ne nous dit pas : « Enlève ta poutre et parle à ton frère… » Il dit : « Enlève d’abord ta poutre et ensuite va enlever la paille de ton frère. »
Parler c’est facile, reconnaître les défauts des autres c’est facile, mais lui enlever ce défaut cela est autrement compliqué ! Il ne s’agit pas de critiquer son prochain, il s’agit d’agir de manière à enlever de la vie de mon prochain ce défaut que j’ai remarqué.
Mais comment puis-je l’enlever de la vie de mon prochain sans ingérence, sans viol, sans mauvais prosélytisme comme souvent nous sommes tentés de le faire avec nos leçons de morale ? Comment puis-je enlever à mon prochain son défaut ?
Par l’exemple ! Il faut que je vive, moi devant lui, parfaitement. Souvent les éducateurs, les prêtres, les parents et les grands-parents, les professeurs, tous ceux à qui sont confiés des enfants et des adolescents, se plaignent qu’ils ne pratiquent pas ! Mais regardons notre exemplarité ! Est-ce que nous sommes exemplaires ? Est-ce que nous sommes vraiment attirants ?
Si l’enfant nous voit vivre n’importe comment, je veux dire par rapport à l’Evangile, comment pourra-t-il entendre notre parole prêchant la pauvreté, la chasteté, l’honnêteté, la simplicité, le courage dans l’épreuve, l’amour du travail ?
« Au cœur de l’Eglise je serai l’amour. »
Finalement la meilleure prière que nous ayons à faire en ce 8ème Dimanche est celle-ci : « Seigneur, fais que j’aperçoive tellement ma poutre que je n’aperçoive même plus la paille de mon frère ! »
C’est ce qu’il y a de plus simple. Il faut être délégué vraiment par une autorité naturelle -autorité parentale, éducatrice ou ecclésiastique- pour avoir quelque chose à dire ; le reste du temps il faut se taire. Ne pas regarder les chaussures de mon voisin, mais regarder sa sainteté, et y travailler. Le carême arrive juste à propos.
Nous revenons donc à ce message simple de l’Evangile qu’il faut être l’amour pour représenter le Christ et pour attirer les frères au Christ.
La petite Thérèse l’avait parfaitement compris : « Au cœur de l’Eglise je serai l’amour. » C’est tout.
Charles de Foucauld saisit également que c’était le meilleur fruit : « Au cœur du monde je serai l’amour. »
Ce fut la vocation de bien d’autres personnes, comme saint Jean de Dieu par exemple : « Au cœur de la pauvreté je serai l’amour. » C’est ainsi qu’elles purent accomplir vraiment le Bien de Dieu auprès des hommes !
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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