Seigneur, apprends-nous à prier
(Dossier Sub Signo Martini n°12)
(Dossier Sub Signo Martini n°12)
L’oraison n’est pas toujours chose facile, elle exige effort et persévérance. Comment entrer dans ce commerce d’intime amitié avec Dieu ?
Devenir ce que nous sommes : fils dans le Fils
L’oraison est le propre des enfants de Dieu que nous sommes depuis notre baptême. Dans l’Ancien Testament certaines personnes seulement entraient dans une relation intime avec Dieu. Moïse et Elie en sont les exemples les plus représentatifs. L’Incarnation du Verbe inaugure une nouvelle Alliance dans laquelle chacun des baptisés peut entrer en relation personnelle avec le Père. L’oraison n’est donc pas le propre des religieux mais l’expression vitale de ce que nous sommes par le baptême, fils dans le Fils.
« Demeurez dans mon amour »
Selon sainte Thérèse d’Avila, l’oraison mentale est un commerce d’intime amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé.
L’oraison est dite mentale car elle se situe au niveau de l’esprit, du cœur, de l’intérieur. Il ne faudrait pas confondre l’intériorité avec une simple introspection psychologique ou encore avec une méditation qui resterait dans l’ordre discursif et intellectuel. Au contraire, l’oraison nous fait entrer peu à peu dans la sphère de la charité, dans la relation du Fils au Père. Nous répondons alors à l’appel de Jésus : « Demeurez dans mon amour ».
L’oraison exige donc de notre part que nous venions régulièrement à la rencontre du Seigneur dont on se sait aimé personnellement. On ne fait pas oraison quand on a le temps ; on prend le temps d’être pour le Seigneur.
Quelques portes d’entrée dans l’oraison
La tradition spirituelle, sans donner de recettes toutes faites, nous fournit des pistes pour nourrir cette rencontre.
La Lectio divina qui est la lecture priante de la Parole de Dieu nous permet de recevoir dans la confiance ce que le Seigneur veut nous dire. L’écoute attentive de la Parole de Dieu est un préalable nécessaire à l’oraison car elle fait grandir en nous le désir de connaître et aimer le Seigneur qui nous parle.
Les oeuvres d’art expriment et témoignent elles aussi des mystères du Christ dans son humanité. Nous pouvons donc à travers elles rejoindre le Verbe incarné et par lui le Père. N’oublions pas que sainte Thérèse d’Avila s’est convertie à la vue d’une statue du « Christ à la colonne ».
Enfin, les événements de notre vie nourrissent notre oraison. Les événements prennent en effet leur véritable sens lorsque nous les relisons à la lumière de l’Esprit-Saint. La bienheureuse Mère Térésa a décidé de se consacrer au service des pauvres lorsqu’elle comprit que le Christ l’appelait à travers le cri d’un pauvre : « j’ai soif ».
Finalement, la qualité de notre oraison ne se mesurera pas à nos sensations immédiates mais à notre foi et à notre amour. Cet amour, manifesté par notre persévérance quotidienne pour aller retrouver le Maître « seul à seul », produira aussi des fruits dans notre vie quotidienne à commencer par la douceur et l’humilité qui nous font demeurer en toutes choses en la présence de Dieu.
Jean-Xavier Salefran + prêtre
La prière, avant d’être une technique ou une obligation, se présente comme un chemin qui me conduit à l’amitié avec le Christ. Voici quelques balises pour ne pas se perdre en cours de route…
L’amitié avec le Christ, tel est le but de la prière. Telle est en effet la définition que donnait de la prière un ami chartreux de la Valsainte. Et cette amitié est très concrète : c’est une vraie relation de personne à personne. Prier, ce n’est donc pas « savoir prier » pour « faire sa prière » mais surmonter les obstacles qui se présentent à moi, se mettre en route et vivre des fruits de l’amitié.
Des obstacles à surmonter
L’ignorance de l’amour du Christ nous empêche bien souvent de désirer son amitié . Certes nous savons que Dieu nous aime, mais nous ne savons pas voir la présence de son amour dans nos vies et nous n’osons pas lui demander qu’il nous fasse expérimenter combien il nous aime !
D’autre part, nous ne faisons pas assez confiance en Sa Parole, ni en l’Église, par laquelle il continue de nous révéler son amour.
Nous n’acceptons pas d’être aimés gratuitement, indépendamment de tout mérite de notre part, avec nos qualités, nos limites, et même nos péchés, puisqu’ils sont pardonnés.
Nous manquons de patience enfin, et n’acceptons pas de ne pas tout maîtriser de notre relation au Christ, qui passe effectivement par l’abandon dans la foi.
Prendre le chemin de la prière
Quittons ces attitudes incurvées du vieil homme ! Prenons le risque de quêter l’amour du Christ et empruntons, avec confiance, le chemin de la prière ! Cette confiance est constitutive de l’amitié. Je ne peux être l’ami du Christ, comme de quiconque d’ailleurs, que si je crois avec confiance en son amour pour moi. Avoir soif de l’amour du Christ, c’est déjà être son ami, quelle que soit l’aridité sensible de ma prière.
Dans la confiance, je peux choisir d’accueillir librement le Christ en moi. La prière est le lieu de la liberté. Ne voyez jamais la prière comme une exigence supplémentaire qu’il faut « faire » par devoir, vivez la prière comme le lieu où vous pouvez librement rencontrer Celui qui vous aime.
Enfin, entrer dans la prière, c’est chercher à Le connaître et à être mieux connu de Lui. L’amitié avec le Christ est comme toute amitié humaine. Deux amis ont toujours plaisir à connaître et à être connus de celui qu’ils aiment. Quoi de plus naturel, on n’aime que ce que l’on connaît !
Sur ce chemin de la prière, je grandis progressivement dans l’amitié avec le Christ, je sais qu’il m’aime, qu’il me veut du bien ; je l’aime à mon tour, je veux son bien. Ma volonté et la sienne s’accordent par amour, je vis dans la foi cette rencontre fréquente et personnelle avec Celui dont je me sais aimé.
La joie du chrétien
La joie bien sûr ! C’est le fruit de l’amour. Être ami avec le Christ me comble d’une vraie joie qui va s’immiscer dans toutes les parts de mon être et teinter tous les moments de ma vie.
Cette joie est d’abord la joie de me voir en vérité grâce à sa lumière. Être ami avec le Christ, c’est accepter son regard sur moi, c’est accepter de me montrer vulnérable, c’est donc accepter de s’accepter soi-même. Et c’est là une spécificité du chrétien, ami du Christ ! Ne pas s’aimer soi-même serait de l’orgueil, orgueil de ne pas s’aimer à cause de ses imperfections, orgueil de ne pas accepter l’amour gratuit que le Christ nous porte !
L’amour du prochain
Être ami du Christ, accepter d’être aimé me permet à mon tour d’aimer les autres aussi gratuitement que je suis aimé et avec la même miséricorde que celle qui m’inonde et donne le vrai relief de ma personne. Les autres ne m’apparaissent plus comme des obstacles mais comme les sujets concrets de l’amour de Dieu devant moi et pour moi.
L’amour en personne !
Être ami avec le Christ, c’est enfin communier comme avec un ami avec Dieu Lui-même qui s’est fait homme, à l’amour incarné, l’amour en personne ! Telle est notre soif d’amour que seul le Christ peut combler : « Si tu savais le don de Dieu !». Remarquez le bien : lorsque nous ne prions pas, nous recherchons avec frénésie un peu d’amour là où nous pensons le trouver, or aucun amour créé ne peut combler notre âme ouverte sur l’Infini…Le chemin qui mène à la source de tout amour est perdu.
L’amitié avec le Christ est la source de notre bonheur d’être aimé et d’aimer à notre tour, la prière est ce chemin qui nous fait vivre de cette amitié. Nous pouvons alors nous exclamer avec saint Paul : « Pour moi vivre c’est le Christ ».
Antoine Drouineau + prêtre
À la suite du Peuple hébreu, d’Élie et du Christ, écartons-nous quelques instants du bruit et de l’agitation qui nous environnent pour faire l’expérience du désert.
Envisager un temps de désert, au cœur de notre vie comme au cœur de notre pèlerinage, suscite souvent deux impressions contradictoires : l’attirance si nous idéalisons la paix et la joie de ce temps donné à Dieu sans percevoir le combat spirituel à mener ; la répulsion de nous trouver face à nous-mêmes : préoccupés de l’agir et de la possession, nous craignons ce temps de vide dans notre vie.
Il nous faut dépasser ces sentiments spontanés et accepter de nous tenir en présence de Dieu. Relisons l’expérience que nous livre la Bible du contact de Dieu avec l’homme dans ce lieu du désert où se construisent la rencontre et l’alliance.
Le désert, lieu de notre dépouillement
La Bible laisse entrevoir le désert comme le lieu de notre dépouillement et de la rencontre avec notre Dieu dans ses dimensions ecclésiales et personnelles : tel le Peuple hébreu mené au désert ou tel Élie traversant le désert pour rejoindre Dieu sur la montagne.
Dieu me conduit comme Dieu conduit le peuple par la nuée ardente et le guide par son serviteur Moise ; comme il conduit Élie par son ange. Quel orgueil personnel empêche Dieu le Bon Pasteur de me mener ?
Dieu me nourrit, à l’instar du peuple désaltéré et rassasié par les dons de l’eau vive et de la manne ; à l’instar d’Élie dont la soif est étanchée au torrent et la faim rassasiée par le pain d’un ange. Quelles attaches personnelles empêchent ma confiance en Dieu le Père provident ?
Dieu m’attend. Ainsi attire-t-il le peuple au pied de la montagne sainte et se révèle-t-il discrètement à Élie dans la brise. Quel égoïsme me détourne de l’Amour de Dieu ?
Au désert avec le Christ
Avec le Christ, le désert est présenté comme lieu de rencontre révélant le rapport personnel de confiance que le Père attend de moi. Dans le même temps, il met en lumière les tentations de fuite ou de détournement au profit du vieil homme qui réside et résiste en nous :
La tentation de changer les pierres en pain nous fait croire que la nourriture humaine acquise par nos forces pourrait rassasier notre faim. Nous refusons de dépendre de Dieu pour recevoir notre nourriture ; ce pain naturel est pourtant peu de choses en comparaison du pain venu du ciel. Le Fils nous apprend à demander filialement au Père notre nourriture humaine et spirituelle : « Donne-nous notre pain quotidien ».
La tentation d’acquérir une gloire humaine en adorant Satan brise notre dépendance à l’égard de Dieu de qui nous tenons la vie. Nous sommes trompés par le regard des autres, nous fuyons dans les activités et les divertissements, nous tirons orgueil de nos réussites et des qualités que le Seigneur nous donne. Le Christ recherche des « adorateurs en Esprit et en vérité » qui acceptent de dépendre du Père et vivent pour sa gloire.
La tentation de mettre Dieu à l’épreuve nous fait détourner la puissance de Dieu à notre service. Centrés sur nous-mêmes, nous supplions qu’il nous accorde des faveurs sensibles ou des preuves. Sur la croix, le Fils remet sa vie entre les mains du Père, appelant les siens à se confier en Dieu plus qu’en leurs certitudes.
Ce temps de silence et de solitude, vécu sous le regard de Dieu, peut refonder la vérité de notre vie, vis-à-vis de nous mêmes comme des autres : « La vérité vous rendra libres ! ».
Jacques-Marie Lorrain + prêtre