LA MATÛRITÉ
(Dossier Sub Signo Martini n°53)
(Dossier Sub Signo Martini n°53)
Les réflexions des enfants contiennent parfois des vérités dont la portée leur échappe… « Être libre c’est faire ce que je veux », entend-on parfois. Faire ce que tu veux, d’accord. Mais ce que tu veux vraiment, ce à quoi tu aspires véritablement au fond de ton cœur. Être libre, c’est donc parvenir, au-delà des embûches et des difficultés, à ce qui est réellement bon pour toi !
Du « tout tout de suite » au « développement durable »
Pas si facile de faire ce que je veux vraiment… je dois d’abord savoir ce que je veux, donc découvrir et connaître mes désirs profonds. Cela prend du temps. « Paris ne s’est pas fait en un jour ». « Ce qui se fait sans le temps ne tient pas le temps », disait saint Vincent de Paul. Pourtant notre culture ne nous pousse pas toujours dans ce sens. La tendance est davantage au « tout tout de suite » à l’immédiat… ; au-delà de trois « clics » pour trouver une info sur une application ou sur un site internet, on considère que « ça rame », c’est trop long ! On surfe sur internet et on zappe les émissions à la télévision. De tels comportements peuvent nous rendre difficile le passage d’une psychologie infantile, fondée sur la satisfaction immédiate des désirs, à une maturité d’adulte capable d’inscrire sa vie dans une histoire et dans la durée.
Sans doute y a-t-il ici un point d’attention pour les éducateurs (avant tout pour les parents !). Tous les désirs ne sont pas faits pour être satisfaits. Cela ne peut combler notre cœur qui n’est pas tant destiné à accumuler une infinité de choses, qu’à accueillir l’Infini lui-même. Notre désir a donc besoin de se creuser et de s’approfondir, afin de se porter vers des biens qui combleront notre cœur. En voulant combler tous nos désirs, nous courrons le risque d’empêcher celui ci de se déployer et de se porter vers des biens toujours plus grands. Une plante qu’on arrose dès que paraît le soleil ne cherchera pas la profondeur dont elle a besoin pour s’hydrater durablement. Ses racines resteront en surface et elle ne pourra donc pas affronter les grands défis qui l’attendent et les contraintes de la vie. Un jeune a besoin d’élargir son cœur pour déployer son désir. Ce qui favorise l’immédiateté (le monde du numérique, smartphones, internet, télévision, jeux vidéos) peut constituer un frein à cette croissance, si ces moyens ne sont pas mis au service de relations constructives. Il convient donc d’en user avec discernement et modération d’autant plus que les addictions sont fréquentes en la matière et abîment durablement notre vie relationnelle.
Poser des choix dans une société de l’éphémère
Revenons à notre liberté. Être libre demande d’exercer sa liberté, et cela se réalise à travers les choix et les décisions de la vie quotidienne. Pour la mettre en œuvre, ma liberté doit être engagée dans certaines directions. Autrement je risque de ressembler à l’âne de Buridan. Ne pouvant se décider entre le foin et l’eau, notre pauvre animal a fini par mourir à mi-distance de l’un et de l’autre. Poser des choix est particulièrement difficile dans notre société. La peur du risque nous pousse à multiplier les assurances et les possibilités de retour en arrière. Si cela vaut pour les biens matériels (pour les contrats d’assurance, par exemple), cette tendance est également vraie pour les relations humaines et affectives, de la peur de l’engagement à long terme à la petite liberté qu’on se laisse d’annuler un rendez-vous jusqu’au dernier moment grâce à son portable ! Le grand risque de l’engagement définitif (mariage ou vie consacrée) qui oriente toute une vie, est souvent source de peur… Beaucoup préfèrent se maintenir dans une forme d’indétermination en face des différentes possibilités de la vie pour ne renoncer à aucune d’entre elles. Comment alors déployer et faire grandir jusqu’au bout tout ce que je suis ? Il y a ici un enjeu important pour l’éducation. Apprendre, à contre-courant parfois, à poser des choix et s’y tenir est précieux pour devenir libre. Les petits engagements de la vie (vie associative, scoutisme ou paroisse etc…) peuvent constituer de belles occasions pour exercer sa liberté.
Pascal Boulic + prêtre
Comment aider les enfants, les jeunes et même les adultes à grandir en responsabilité ? Don Paul Préaux, Modérateur Général, don Louis-Hervé Guiny, formateur de prêtres, et don Pierre-Antoine Belley, éducateur de jeunes, nous livrent leur vision de l’éducation à la liberté.
Pour vous, qu’est-ce qu’une personne mûre ?
Don Paul Préaux : Une personne mûre, c’est celle qui est libre de choisir le bien dans un don de soi et de conduire sa vie en restant fidèle à cette orientation fondamentale, dans la stabilité et la solidité.
Don Pierre-Antoine Belley : Les mots-clefs de la maturité sont la responsabilité, la confiance en soi. Une personne mûre est responsable de ses actes, assume son identité et agit en étant capable de prendre des risques.
Don Louis-Hervé Guiny : La maturité est très liée à la question de la vérité : vérité sur soi, vérité de la pensée. Mais, plus encore, on pourra la définir à partir des quatre vertus cardinales : une personne mûre a atteint un équilibre dans sa vie morale, qui lui permet d’agir avec justice, prudence, force et tempérance.
Quels sont les défis actuels que vous voyez en ce domaine ?
DLH : Un des paradoxes contemporains réside dans une sortie trop rapide de l’enfance et une entrée indéfiniment retardée dans le monde adulte, d’où cette période transitoire trop longue, cette adolescence qui ne se termine jamais. Il faut aider les adolescents à entrer dans leur vie d’adulte par des étapes, marquées par des choix forts et responsables. Pour cela, ils ont besoin de modèles, et, en ce domaine, le déficit de modèles parentaux et, en particulier, paternels est un défi pour tout éducateur. Il s’agit de donner aux jeunes ces modèles. Dans ma mission de formateur, compte tenu de l’immaturité plus grande, je suis appelé à être davantage éducateur qu’autrefois, à donner un cadre plus clair.
DPA : Nous sommes dans un monde infantilisant, qui n’encourage pas la croissance. Les jeunes ne trouvent pas de lieux pour devenir adultes. Chez nos anciens, sans doute, la rudesse de la vie et la conscience des responsabilités impliquaient qu’on devenait adulte plus tôt. Il faut aider les jeunes à devenir mûrs en leur montrant que c’est un processus normal, marqué par des étapes : diplômes, rituels qui marquent la croissance des jeunes.
DPP : Toutes les cultures marquent le passage de l’enfance à l’âge adulte par des rites initiatiques, des rites de passage. Il nous faut retrouver cette pédagogie, qui marque la croissance par des étapes fortes.
Etrangement, parler de maturité nous renvoie immédiatement à nos immaturités, nos dépendances, à nos peurs… Comment présenter, d’une manière positive, le chemin de maturation, qui est le propre de toute éducation ?
DPP : L’addiction révèle un manque, un besoin de combler une béance, un vide existentiel. En cela, elle est liée à cette crise de la maturité, qui empêche de construire sa vie, de la remplir véritablement.
DPA : L’addiction est un excès qui vient de ce qu’un jeune n’arrive plus à se donner des limites. Or, c’est dans une certaine modération dans nos désirs que nous trouvons l’accomplissement. Le processus de maturation doit permettre de mieux se connaître, de connaître ses désirs et de savoir y répondre avec mesure. C’est vrai pour tous les désirs, en particulier ceux qui sont liés au corps, qui devient rapidement un produit de consommation. Les jeunes peuvent le comprendre et en vivre, à condition qu’on les y éduque.
DLH : L’anthropologie chrétienne nous montre que l’homme est blessé par le péché originel. Fondamentalement, nos désirs sont bons, mais le péché originel y introduit un désordre. Il faut un cadre, une autorité pour orienter ces désirs. C’est l’expérience de la loi : le père, les professeurs, la loi civile, et fondamentalement la loi de Dieu. Elle nous donne un cadre, nous apprenant à user des choses « comme si on n’en usait pas » selon le mot de saint Paul.
On ne conduit les autres que là où on est soi-même arrivé. Quel type de maturité attend-on du prêtre et particulièrement de l’éducateur ?
DPP : Si le prêtre pense qu’il est mûr, il est dans l’erreur. Conscient de ses manques et de ses maturités, il doit toujours demeurer dans un processus de croissance nourri par une juste connaissance de soi et un vif désir de conversion.
DLH : Pour cela, il doit sans cesse prendre du recul, apprendre à mesurer l’effet qu’il laisse aux autres, être capable d’humour, de distance, de dépossession.
DPA : Fondamentalement, le prêtre est appelé à vivre pour l’autre dans une véritable chasteté, c’est-à-dire une relation libre qui ne s’approprie pas les autres. Sans chercher à recevoir, le prêtre sera comblé de surcroît. C’est aussi la définition de la paternité, en fin de compte.
Comment intégrer ce processus, en grande partie, psychologique dans l’ensemble de la vie spirituelle d’un jeune ?
DLH : Il faut accepter que les deux processus aient un rythme différent. On ne grandit pas forcément humainement et spirituellement à la même vitesse. Pourtant, la grâce fait grandir et, comme nous sommes un, cette croissance se répercute sur toute la personne.
DPA : La situation est différente en fonction de l’itinéraire de foi de chacun. La maturation doit aussi conduire à relier le choix profond de la foi et l’hygiène de vie, afin d’unifier notre personne.
DPP : Une vie spirituelle qui ne serait pas suffisamment incarnée dans le concret ne serait pas suffisamment mature. Nous sommes conduits à accepter notre humanité avec ses fragilités et ses potentialités, à accepter celui que nous sommes devant Dieu. Pourtant, la croissance humaine apparaît d’abord comme une conquête de sa propre identité, alors que la croissance spirituelle nécessite de se recevoir d’un autre, d’apprendre à coopérer à la grâce de Dieu, qui est première.
Comme l’explique Marie-Amélie Larchet, psychologue, la maturité correspond à un stade intellectuel, moral et psychologique à partir duquel l’homme peut décider et agir en « adulte », autonome. L’éducation doit pouvoir donner les moyens à l’enfant d’y parvenir un jour.
Dans la culture de la performance qui prédomine aujourd’hui, chacun est sommé de réussir sa vie dans tous les domaines. La famille est devenue un prolongement de son moi idéal, l’enfant en est la carte de visite. Mais « bien élevé » ne signifie pas « bien éduqué ». Certains parents, apôtres de la douceur et du dialogue, ne veulent ni cri, ni frustration, ni aucune forme de conflit. Ils confondent le bien-être avec le refoulement des sentiments négatifs. La différence de générations disparaît alors et conduit chacun à vivre selon les émotions des autres, au détriment de sa propre maturité affective.
Contraintes et frustrations sont pourtant indispensables à la vie de famille. Contrairement aux idées reçues, ils contribuent à l’épanouissement en apprenant à discriminer, dans l’équation de soi avec les autres, dans la rencontre des idées et des faits, dans l’entremêlement des désirs, des convictions et de la raison, les moments où il faut s’affirmer ou s’effacer. La confrontation permet à l’enfant de renoncer au fantasme de toute-puissance et au principe de plaisir immédiat qui l’habite depuis sa naissance. Elle dresse les contours de son être propre. Cette « mise en forme » lui fait distinguer le « je » du « vous », et le « nous » du « eux ». Ainsi, il prend conscience de soi comme membre d’une famille, d’un pays, d’une culture. Il s’enracine dans des fondations qui serviront de socle à sa vie d’adulte. Ces repères, s’ils sont solides, nourriront dialectiquement son discernement en l’ouvrant aux différences. Inversement, trop de frustrations et de contraintes empêchent l’enfant de se découvrir et de s’assumer. Alors, la maturité qui consiste à savoir se gouverner sans maître, est bien difficile à obtenir. Il s’agit donc d’installer un équilibre entre fermeté et douceur.
Dans ce processus, la psychanalyse distingue les rôles des parents. La mère renvoie à l’intériorité et offre un cadre sécurisant pour les premières expériences de vie. Le père permet de se dissocier du corps maternel et d’accéder à une identité autonome. Il donne le rythme, et l’enfant peut en ressentir de la frustration. Mais cela le rassure quand il se sent débordé par ses émotions. Les parents sont des architectes, leur but est « d’édifier » : ils élèvent des murs, mais pour ouvrir les portes de l’âge adulte. L’enfant les empruntera pour aller trouver sa place hors du nid. Pour cela, il a besoin qu’on lui donne confiance en le reconnaissant pour ce qu’il est authentiquement, à travers ses aspirations, ses peurs, ses échecs et ses réussites. Qu’on l’aide à donner du sens à sa vie en l’éduquant au bien, mais aussi qu’on l’initie au beau : l’art, la nature, toutes ces choses enfin qui feront de lui une caisse de résonance de la beauté de la création. Et feront naître en lui le désir d’y trouver toute sa place.
Marie-Amélie Larchet
Psychothérapeute pour adultes et adolescents
Le point d’interrogation est ici crucial. Car l’invention de l’adolescence correspond dans nos sociétés à l’éloge de l’immaturité. Le père Vincent de Mello, prêtre du diocèse de Paris, en mission auprès des jeunes, nous donne quelques clefs de lecture.
Ce qui nous charme chez les « ados », c’est leur spontanéité qui se répand en inconstance. Leurs grands élans de cœur, si purs et généreux, se mêlent au narcissisme le plus clos. Leur désir d’engagement se perd dans le « zapping » qui veut tout embrasser mais qui n’étreint rien.
Triste et noir constat ? Non, mais prise de conscience. La maturité d’un jeune vient si elle lui est permise et donnée. Car il pèse sur nos jeunes un interdit : celui de devenir adultes, interdit posé par les adultes eux-mêmes. C’est étonnant car ces derniers, qui redoutent la période où leurs enfants vont devenirs des adolescents, sont ceux-là même qui ne les font pas entrer dans leur monde d’adultes. En réalité, nous les craignons car nous les mettons sous cloche. Or, l’enfant doit pouvoir passer dans le monde adulte à l’âge où son corps se transforme et lui envoie un splendide message : « Tu es fait pour donner la vie et pour donner ta vie. » Sur ce passage, il nous revient, comme adultes, de mettre des mots et de provoquer une incarnation.
Mettre des mots : « Bienvenue dans le monde adulte ! Tu as une place à tenir en ce monde, un fruit à porter. Nous avons besoin de tes talents, et tu auras besoin de nos conseils pour les mettre mieux en œuvre ; ils transformeront ce monde qui est maintenant le tien. »
L’incarnation : « Engage-toi et donne-toi, la société reçoit en toi un don. Exerce tes talents, mais pas comme s’il fallait combler une carence. Car tu as ta créativité à exprimer : rendre service, c’est bien, mais œuvrer avec ce qui fait ta grâce propre, c’est mieux. »
Dans quels lieux un adolescent peut-il exercer une vraie responsabilité ? Comment lui passons-nous le flambeau ? Quels rites de passage viennent le signifier ? Quelle place donnons-nous à leur propre savoir-faire ? Leur maturité vient du fait que nous leur confions une portion de ce monde, sur laquelle ils peuvent éprouver leur fécondité. Mais nous n’exigerons pas d’eux qu’ils soient toujours sérieux. Nous n’éduquons pas pour fabriquer des gens bien comme il faut, qui rentrent dans le rang. Nous faisons éclore des libertés qui vont exprimer leurs talents et trouver leur joie dans le don d’eux-mêmes.
Cela commence par l’apprentissage du service. On « rend » service comme on « rend » grâce : non par obligation mais parce que l’on a perçu que tout est un don. Leur maturité vient quand ils perçoivent qu’ils ont une saveur, une partition, un fruit à rendre.
Vincent de Mello + prêtre
Directeur du patronage du Bon Conseil à Paris
À tout âge, des zones d’immaturité subsistent et les signes en sont divers. Les débusquer demande une authentique lucidité assistée de l’Esprit-Saint. Mais une juste connaissance de soi ne suffit pas à se dépouiller du « vieil homme », explique Mgr Laurent Camiade, auteur de Obéir en homme libre. Liberté et obéissance : comment concilier l’inconciliable ?
Relations difficiles, actes compulsifs, inadaptation à la vie sociale, rapport tendu à l’autorité ou autoritarisme, manque de souplesse ou au contraire inconstance, indécision, tendance au panurgisme, fuite et paresse, tels sont les avertisseurs les plus courants.
Mieux se connaître soi-même et accepter la complexité du réel en soi et autour de soi (l’ivraie pousse en même temps que le bon grain, cf. Mt 13) est une condition pour mûrir enfin. Mais cette croissance ne peut aboutir qu’en Jésus-Christ, qui nous apprend à nous dépouiller du « vieil homme » pour parvenir à la pleine maturité (cf. Eph 4,15-24).
Pour se préparer au don total de sa vie sur la croix, Jésus a fait quatre choses : il a pris une distance avec ses parents pour « être aux affaires de son Père » au Temple de Jérusalem et, plus tard, en ne reconnaissant comme membres de sa famille que ceux qui écoutent la Parole et la mettent en pratique ; il s’est retiré pour jeûner 40 jours au désert ; il a choisi ses disciples ; il a fréquenté les pécheurs, les pauvres et les malades. Quelques moyens s’ensuivent pour se confronter au réel : prendre une distance vis-à-vis des personnes qui me maternent, m’infantilisent, ne me laissent pas libre ; au moins pour une période, se dépouiller d’attachements divers, d’aliments, d’audiovisuel, de musique, de téléphonie, de loisirs, de caprices égoïstes ; ne jamais cheminer seul mais se laisser accompagner dans un esprit fraternel équilibré ; fréquenter des pécheurs, des pauvres, des malades, des blessés de la vie, les laisser me regarder et découvrir dans leur regard qui je suis vraiment.
Pour connaître en vérité nos zones d’immaturité (je ne parle pas ici de pathologie psychique grave qui nécessite l’aide d’un professionnel), la lumière du Saint-Esprit est nécessaire. Mais se connaître ne suffit pas. Il faut encore obtenir la grâce du courage pour décider de surmonter nos fêlures et en prendre les moyens, c’est-à-dire s’engager sur une voie de sacrifice : renoncer aux occasions de péché, se détourner radicalement des situations et des personnes qui entretiennent ou facilitent nos inclinations. Avec l’aide de l’Esprit-Saint, d’un bon directeur spirituel et de vrais amis, cette voie héroïque est toujours possible. Elle peut demander plusieurs années. Il suffit d’oser y voir clair sur soi-même, puis de la désirer et enfin de mettre toutes ses forces au service de cette motion du Saint-Esprit, qui nous pousse au don le plus généreux possible de nous-mêmes.
+ Monseigneur Laurent Camiade, évêque de Cahors
La maturité humaine se construit tandis que la sainteté se reçoit. Néanmoins ces deux réalités fondamentales avancent vers le même point d’arrivée : l’autre et le Tout-Autre, Dieu.
La juste perception de la réalité est un signe éloquent de maturité humaine. L’enfant découvre le monde à partir de son expérience fusionnelle avec ce qui l’entoure. Peu à peu, il prend conscience de lui-même et explore le monde en le reconstruisant mentalement. L’adolescent établit ensuite des systèmes dont il est le centre et construit autour ses relations. C’est l’homme adulte qui redécouvre le réel en le recevant : ce qui est, ce qui advient, les autres et l’imprévu, et au terme Celui qui est.
« Alors nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’Il est. » (1 Jn 3, 2) Voilà notre destinée, le but de notre vie. Mais, ici-bas, nous avançons dans une certaine confusion sur notre propre identité. Qui suis-je ? Cette confusion naît du conflit entre la bonté de mon cœur profond et les lourdeurs de ma nature blessée. Ce n’est qu’au ciel que notre personnalité, déchargée du fardeau de notre moi égocentré, se redressera complètement, et se découvrira, non sans émerveillement, dans la pleine lumière du Christ : « Vivre au ciel c’est être avec le Christ. Les élus vivent en Lui, mais ils y gardent, mieux, ils y trouvent leur vraie identité (…). » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1025)
« Nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » (2 Co 4, 16) Le renouvellement quotidien de cet homme intérieur est un don de l’Esprit. Il se reçoit dans un effort constant de vérité et de lucidité sur soi-même, sur son histoire, sur ses pauvretés psychologiques et morales, et sur la miséricorde de Dieu, mais aussi par un oubli de soi, une sortie de soi dans le monde réel des relations humaines, du service et du don de soi.
Nous sommes ici-bas des exilés et des pèlerins et, chaque jour, nous devons consentir à cette vocation, de revenir à la maison du Père en grandissant toujours plus dans cette altérité humaine et spirituelle. « Ils disent non à la Vie et donc à Dieu ceux qui se figent à une étape de la vie sans la dépasser, (…) ceux qui cachent derrière un vocabulaire spirituel (humilité, esprit d’enfance…) un refus de grandir » (Vers la maturité spirituelle, par un chartreux). Thérèse de l’Enfant-Jésus, Charles de Foucauld, François d’Assise… Le témoignage des saints rend lumineux ce renouvellement intérieur qui s’apparente à un enfantement de ce qu’il y a de plus beau en nous et qui ne sera révélé qu’au ciel : « Mon enfantement approche. Pardonnez-moi, frères (…). Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme. » (Saint Ignace d’Antioche)
Maxence Bertrand + prêtre