Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
« Seigneur souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume ! »
Lectio divina pour Vendredi Saint, le 14 avril 2017
Au Moyen-Age se vivaient les Mystères de la Passion. Cela consistait à reproduire sur les parvis de nos cathédrales, cette grande Liturgie de Dieu qui trouve aujourd’hui son point culminant. Nous avons perdu aujourd’hui la raison de ce jeu théâtral des mystères du Christ. Mais en tant que baptisés, nous n’en avons pas perdu le sens profond, et aujourd’hui encore, comme chaque Vendredi Saint, nous sommes appelés à jouer en notre cœur le Mystère du Christ dans les dernières heures de Sa vie terrestre.
« Es-tu Roi ? »
Nous sommes au pied de la croix et nous y voyons le titre : Jésus de Nazareth – Roi des Juifs. Revenant maintenant quelques heures en arrière, nous sommes face au Christ, comme Pilate et avec lui nous demandons : « Es-tu Roi ? » Et tombe alors la seule parole que Jésus répondra au gouverneur romain : « Tu l’as dit, je suis Roi. Et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité. » Et restant dans la peau de Pilate, nous posons cette autre question à Jésus : « Qu’est-ce que la Vérité ? » Ne noircissons pas Pilate outre mesure : il ne la posa pas forcément avec hypocrisie. Il devait avoir en lui une certaine sincérité, comme tout officier au service d’un empire. Il nous représente assez bien, certainement : avec une part de bon désir et une part de mauvaiseté…
« Qu’est-ce que la vérité ? »
« Qu’est-ce que la vérité ? » Voilà que revenant au pied de la croix, avec Marie, nous entendons le Christ, Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs, nous dire la Vérité qu’Il est venu annoncer, cette Vérité dont Il est le témoin, c’est-à-dire le martyr. Cette Vérité, ce n’est pas à Pilate, ce n’est même pas à Marie, c’est au Bon Larron qu’Il va la dire ! Comme fit toujours Jésus se révélant aux pécheurs. Je ne dis pas aux petits, parce que Marie était la petite parmi les petites, l’humble parmi les humbles ; je dis aux pécheurs comme furent la Samaritaine, l’Aveugle-né… Voici qu’à ce voleur, à ce brigand, Jésus dit : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. »
Aujourd’hui… Avec Moi… Au Paradis
Voici le premier des saints ! Voici celui qui entre dans le ciel de Dieu, avant la Vierge, avant même l’Ascension de Jésus, comme Le précédant pour L’accueillir avec le Père, lorsqu’Il remontera dans Sa gloire 40 jours après Pâques ! Un homme de rien, un misérable, un bandit…
Bossuet dira : Aujourd’hui : quelle promptitude ! Avec moi : quelle compagnie ! Au Paradis : quel repos !
Marie a-t-elle entendu ces paroles? Jean, le disciple bien-aimé a-t-il perçu ces mots ? L’Ecriture n’en dit rien, c’est un secret entre Dieu, Jésus et le Bon Larron.
Quel mystère ! Quel mystère que cette vérité que Jésus nous dévoile sur le sens profond et ultime de Sa mission alors qu’Il est là cloué dans Son humanité sur le gibet, dans une impuissance totale ! Il a ce regard magnifique sur plus pauvre que Lui, sur la pauvreté absolue et d’autant plus attirante qu’elle se reconnaît comme telle !
Son regard dévoile, Sa Parole annonce enfin dans sa totalité, comme une apocalypse de la Révélation la Bonne Nouvelle de cet hodie, cet aujourd’hui qui anticipe l'( )hodie pascal, de la résurrection : Aujourd’hui c’est avec Moi que tu vas vivre dans ce Paradis qu’est la Vie du Père…
C’est un mystère qu’il nous faut essayer de saisir pour y participer, pour le vivre, théologiquement, mystiquement, dans notre âme. Même s’il n’y a pas tout le théâtre du Moyen-Age, ce jeu populaire de la Passion, chacun doit être interpellé aujourd’hui et se dire : pourquoi ne serai-je pas moi aussi le destinataire de ces paroles de Jésus ?
« Eli, Eli, lama sabactani ! »
Alors, restons au pied de la croix, et essayons de comprendre. Nous écoutons et nous entendons d’abord ce cri du Psaume 21ème que Jésus reprend dans son ultime agonie. Il le reprend parce qu’Il le connaît. Il l’a médité comme Il a médité durant toute Sa vie, Ses 33 ans de vie, la Parole de Son Père, inspirée par l’Esprit Saint et dont Il est, Lui, l’Accomplissement… Parole de Dieu à l’homme, Parole de Dieu pour Lui qui, homme-Dieu, en est la Substance originelle (avec le Verbe) en même temps que la réalisation… Voilà que, dans l’inconscience de son agonie tétanique, lui reviennent en mémoire comme par une heureuse coïncidence ce psaume 21 « Eli, Eli, lama sabactani », « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? »
Quel autre mystère que cette parole que Jésus prononce dans Son humanité qu’Il assume et qui est la nôtre! Ce cri de Jésus est le cri de l’Humanité !
Comme le dit la première lecture : Nous étions errants comme des brebis sans pasteur, ne sachant où aller, perdus, sourds et aveugles dans les ténèbres de notre nuit… Mon Dieu, mon Dieu, a crié l’humanité depuis le péché d’Adam jusqu’à l’agonie du Messie, Mon Dieu pourquoi nous as-Tu abandonnés ? Ce n’est pas le cri de Jésus seul, c’est le cri de Jésus nouvel Adam, c’est donc le cri de l’Humanité entière qu’Il assume, sans honte aucune, Lui qui est Fils de Dieu ! C’est le cri de l’homme dans son angoisse et dans sa solitude, dans le monde du péché, dans cette structure de péché qui nous entoure et qui nous immerge comme disait S. Jean Paul II. « Mon Dieu, mon Dieu… »
« Dieu l’a fait péché pour nous » dit Saint Paul, jusqu’à Lui faire prendre sur Lui ce cri dérisoire de l’homme perdu, Lui qui a la vision béatifique, Lui qui voit tout : le présent le passé le futur… Lui qui connaît son Père mieux que quiconque, Lui qui est dans le sein du Père, Lui qui sait qu’Il est en train de passer de ce monde à Son Père… Voilà que Celui qui venait de dire devant Ses apôtres : « Père, glorifie ton Fils de la gloire qu’il avait auprès de toi de toute éternité » s’écrie quelques heures plus tard : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ! »
Cette angoisse débordante par ce cri dépasse infiniment la tristesse que le Christ a dû ressentir pour Lui. Cet abandon vrai, imprégnait toutes Ses fibres, Son cœur et Son âme. Mais cela dépasse infiniment la dimension personnelle de la blessure car en Jésus, Son humanité qui est unie au Verbe, embrasse du coup toute l’Humanité. Aucune donc de Ses actions, de Ses paroles, de Ses blessures à Lui l’Innocent ne peuvent être séparées des actions, des paroles, des blessures de l’Humanité pécheresse toute entière.
« Absalon, Absalon, mon fils, que n’ai-je pu mourir à ta place ! »
Dieu va-t-il répondre à ce cri ? Il y répondra de la manière la plus belle comme nous les hommes ne savons pas répondre : Il y répondra par le silence de la mort.
Et c’est donc Jésus Lui-même qui répondra à Sa propre question… C’est le Fils de Dieu expirant dans Son humanité assumée qui répond au Fils de l’Homme dans Son agonie… Uni au Verbe silencieux qui accomplit le dessein du Père, Jésus meurt pour l’homme, Il meurt pour cette humanité assumée depuis l’Incarnation par le Verbe.
On se souvient ici de cet épisode si poignant de David trahi par son fils Absalon et qui apprend la mort de ce fils félon. Il s’écrie : « Absalon, Absalon, mon fils, que n’ai-je pu mourir à ta place ! »
David le roi, David le consacré, David le chantre de Dieu, mais aussi le pécheur, David pardonne à ce traître de fils. C’est dire qu’il oublie, mais aussi qu’il va au-delà et qu’il est prêt à mourir à sa place : « Absalon, Absalon, mon fils, que n’ai-je pu mourir à ta place ! » Si David ne peut pas mourir à la place de son fils, Dieu, Lui, peut offrir l’humanité de Son Fils incarné pour mourir à la place de Ses enfants pécheurs !
Dieu va Se donner tout entier en Jésus. Il va mourir en Jésus-Christ pour mourir à la place de Son fils, l’homme révolté !
« Seigneur, que je voie ! »
Voilà ce que nous célébrons aujourd’hui : l’échange, l’admirable échange, fruit de l’Amour infini, parfait et inconditionnel de Dieu, fruit de Sa paternité. Il y eut d’abord le premier fruit de Son Amour : la création. Puis, il y a ce fruit qu’est la Rédemption. Dieu en Jésus meurt, à la place du fils. Il réalise ainsi ce souhait que même nous, dans notre paternité charnelle, nous pécheurs et mauvais comme disait Jésus, nous sommes capables de souhaiter pour sauver notre enfant.
Mais voilà qu’au pied de la croix, il y a le mauvais larron.
Il ne voit pas cet échange, il ne regarde pas la croix de Jésus, mais il regarde sa croix. Ce qui l’intéresse, c’est sa vie. Ce qu’il désire c’est se sauver. Il est à l’opposé de la logique du salut qui consiste à se perdre, à s’oublier… Se perdre de vue… Fruit premier et infini de la vraie foi, puisque la foi consiste à regarder Dieu qui Se donne… Voilà qui est le mauvais larron.
Il n’est pas plus larron que l’autre larron, mais il ne sort pas de sa nature. Il est immergé complètement dans son esprit, dans son monde. Ce n’est qu’à sa lumière qu’il voit et se voit, et sa lumière est ténèbres… Ce qui fait qu’il ne voit rien ! Lui qui a la grâce de la proximité physique à Jésus, cet Innocent que tout le monde savait innocent, même Pilate, il ne voit pas ! Il est aveugle parce qu’il ne songe qu’à lui : « Sauve-toi et sauve-nous… » Et il se perd parce que celui qui veut sauver sa vie la perdra et celui qui accepte de perdre sa vie la sauvera.
« Voulez-vous que je relâche Barabas ou Jésus ? »
Le bon larron n’est pas moins larron que le mauvais larron, mais il a su accepter la grâce de la foi, la grâce de cette proximité à l’Innocent comme fera le soldat romain s’exclamant : « Vraiment celui-ci était fils de Dieu » ! Il a su Le voir, Le regarder sur Sa croix… D’où le symbole du dévoilement de la Croix pour nous inviter à y voir, dans la foi, le Christ ayant pris notre place… Il voit par sa foi, il connaît l’échange merveilleux, il comprend que pour Dieu, l’homme égale Dieu, que l’homme n’est pas moins que Dieu puisque Dieu envoie Son propre Fils pour sauver l’homme !
Admirable échange : la vie de l’homme pour la Vie d’un Dieu, la Vie de Dieu pour la vie de tous les hommes… Nous voyons s’accomplir le symbole prédictif de l’échange entre Jésus et Barrabas, le vrai Fils contre les faux fils : Bar Abbas, le fils du Père…
Il nous faut regarder vers Celui que nous avons transpercé
Voilà ce que le bon larron connaît, accepte en regardant l’Innocent crucifié. « Pour Lui qui est innocent, ce n’est pas une justice… » dira-t-il à son compagnon. Et grâce à cette seconde où il arrête de se regarder, pour, sans orgueil et en confiance, regarder vers Celui qu’ils ont transpercé, il peut faire cette demande d’enfant : puisque Tu es Seigneur, « lorsque tu reviendras, souviens-toi de moi dans ton Royaume ». Et Dieu par la bouche de Jésus lui répond ! Point de silence cette fois-ci comme ce fut le cas pour le cri de Jésus… En fait si Dieu peut maintenant répondre au larron, c’est que Jésus accepta le silence de Son Père ! C’est à Lui que revient donc de faire, au nom du Père, la promesse pour l’accomplissement de laquelle Il est venu vivre et mourir: « Aujourd’hui avec moi, tu seras dans le Paradis. »
« Il m’a aimé et Il s’est livré pour moi ! »
Voilà ce que nous devons apprendre aujourd’hui.
Cessons donc de nous regarder ! Nous savons suffisamment que nous ne sommes pas des saints, cela suffit. Ne faisons pas l’erreur de nous fixer sur notre misère et nos péchés, sur nos cœurs endurcis et nos âmes un peu ténébreuses, nos lâchetés et nos trahisons. Rien de tel pour dévisser dans l’acédie spirituelle !
Sachons faire comme le bon larron. Parce que nous nous savons pécheurs, quittons-nous nous-mêmes immédiatement ! Profitons de la grâce de cette Liturgie avec son Adoration de la Croix qui prépare à recevoir l’Eucharistie pour justement regarder cette Croix et se dire : « Il m’a aimé et Il s’est livré pour moi ! »
Comment alors, investi de cette foi, ne pas avoir la confiance du Bon Larron traditionnellement appelé Saint Dismas ?! Et comment ne pas répéter sans se lasser, dans notre cœur : « Seigneur souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume » ?
Mais surtout, comment pourrions-nous ne pas être rassurés d’entendre dans le fond de ce même cœur contrit durant cette Liturgie : « Aujourd’hui, par ta contrition, par ton adoration de ma Croix, par notre communion à nous deux réalisée à travers l’Eucharistie, tu es déjà avec moi dans le Paradis » ?
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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