Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
« Tout est à vous mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu ! »
Lectio divina pour le dimanche 26 février 2017
Comme une préparation à notre entrée en Carême dans quinze jours, l’Eglise en ce 8° Dimanche Ordinaire nous présente un texte long et difficile de Saint Matthieu qui regarde notre attitude vis-à-vis des biens matériels. Et, sur un autre plan, Saint Paul met en garde sur le jugement que nous pourrions porter. Dieu seul est juge de mes actes comme de mes pensées. Il est juge en fonction de ma nature qui est d’être intendant, un intendant qui doit régir ce qui lui a été confié, à la lumière du Christ qui éclaire sa conscience…
Qu’en est-il, d’abord de l’usage des biens économiques? Le Christ nous dit que nous ne pouvons pas servir Dieu et l’argent. Donc faut-il être pauvre pour être catholique ? Sachant que si nous cherchons le Royaume de Dieu, tout nous sera donné par-dessus le marché, c’est donc un choix enrichissant ! Alors, qu’en est-il exactement?
« Vous ne pouvez servir deux maîtres… »
« Vous ne pouvez servir deux maîtres. » Le sens de cette expression se retrouvera chez Paul lorsqu’il exprime l’asservissement du pécheur : « Vous étiez esclaves du péché et vous êtes devenus esclaves de la justice. »
Cette notion d’asservissement veut dire que c’est d’une adhésion intérieure, spirituelle, totale et profonde dont il est question. Il ne s’agit donc pas de se servir de l’argent, Jésus lui-même ne nous demandera-t-Il pas d’être aussi rusés que les fils des ténèbres ? Il s’agit d’être asservi c’est-à-dire d’adhérer intérieurement par notre cœur, d’être en quelque sorte soumis et donc idolâtre.
Quels sont ces deux maîtres ? Le premier, c’est Mammon. C’est plus que l’argent. L’argent reste un moyen, une monnaie. Mammon, chez les Araméens, c’est la Richesse, c’est le « Ploutos » des Grecs, ce qui donnera, entre autre, la notion de ploutocratie. C’est la richesse en tant que telle. Et d’un autre côté, c’est Dieu.
« Si une mère arrivait à oublier son enfant, moi, je ne t’oublierai pas ! »
Dieu, délicatement, va se présenter aux lecteurs de l’évangile à travers le texte d’Isaïe qui est très beau, et qui reprend un hébraïsme fréquemment utilisé dans les Ecritures. Cet idiome décrit l’Amour que Dieu nous porte en le comparant à celui d’une mère, disant que l’Amour de Dieu est encore plus fort que celui que la mère éprouve pour le fruit de ses entrailles. On le voit, chez les Hébreux, la langue est absolument pratique, il n’y a pas de concept abstrait. L’Hébreu est quelqu’un de concret qui exprime ce qu’il y a de plus spirituel par des images très parlantes de la vie courante, et en cela c’est une langue magnifique.
Un hébraïsme très utilisé est celui des entrailles que le latin traduira par viscera, un mot qui revient souvent dans la prière de l’Eglise. Ce ne sont pas les viscères, mais bien le sein maternel qui représente chez la mère la source d’un amour invincible, une protection, un désir d’éducation, et surtout une miséricorde sans mesure… La mère pardonne tout à son fils, même si c’est un criminel… Ainsi, les Hébreux, pour signifier la miséricorde, parlent du sein de la femme comme source de cet amour sans mesure. La miséricorde est le fruit d’une alliance, l’alliance charnelle, le lien du sang qui attache la mère et son rejeton et que rien ne peut défaire.
Cette image est utilisée par le monde juif pour exprimer la paternité de la royauté. Ce qui sort du Roi avec un grand R, c’est-à-dire Yahvé, ce qui sort de Dieu, c’est cet Amour et ce désir de guider l’homme, de le protéger, de le porter sur son sein, tout simplement parce que l’homme est le fruit de ses entrailles : il est né de Dieu. Au même titre que l’enfant est engendré par sa mère. Dieu pour l’homme, est plus qu’une mère, il est plus qu’un père : « Même si une mère arrivait à oublier son enfant, moi, je ne t’oublierai pas. »
« Tout vous sera donné… »
On peut dire qu’il y a comme une alliance charnelle entre Dieu et l’homme, entre le Créateur et cet enfant qui est tourné vers le sein divin pour se nourrir, se chauffer, se protéger. Nous retrouvons là, mais dans un sens infiniment plus positif, la posture de l’esclave dont il était question auparavant. L’esclave est celui qui est tout entier dépendant du Maître dont il attend aide, nourriture, chaleur, protection…
Voilà comment Dieu se décrit comme Maître du Royaume. Oui, nous sommes des esclaves au sens de Paul, esclaves de la justice de Dieu, c’est-à-dire adhérents à l’Amour de Dieu comme l’enfant collé au sein de sa mère, dont il attend la vie !
C’est dans ce Royaume, dans cette relation décrite par Dieu, qu’il nous faut entrer. « Alors tout vous sera donné. »
Il ne s’agit pas bien entendu de l’abondance. Dieu ne se mêle pas des causes secondes. Il s’agit de l’éclairage, de l’éducation paternelle de Dieu que je reçois à partir du moment où j’adhère en confiance à Celui qui m’éduque. Je reçois comme une nourriture, non le lait du sein mais, comme Jésus a reçu de Marie, l’éducation, le sens des choses, la justice, cette Sagesse de Dieu qui est venue s’incarner et qui continue à vivre parmi nous, par sa Parole et par les sacrements.
« Ne savez-vous pas que le corps est le temple de l’Esprit ? »
C’est dans la foi que je peux recevoir l’évangile. C’est seulement dans cette adhésion d’enfant collé au sein de son Père que je peux comprendre l’éclairage que Dieu veut me donner.
Comme dit Paul, toutes choses sont révélées dans l’éclairage du Christ. En particulier, cette hiérarchisation que Dieu nous rappelle par Jésus : notre vie vaut plus que de la nourriture et le corps plus que les vêtements. Ce n’est pas le moyen qui compte, c’est la fin.
Pourquoi la vie est-elle plus que la nourriture, ou le corps plus que le vêtement ? Parce que le vie et le corps viennent de Dieu et sont appelés à retourner à Dieu.
« Ne savez-vous pas que le corps est le temple de l’Esprit ? » Je suis sauvé par la croix du Christ en tant que personne créée à l’image de Dieu, esprit et corps. Il y aura une résurrection des corps, comme il y a déjà dans le baptême, les arrhes de ma résurrection de l’esprit, de ma vie nouvelle.
Jésus nous rappelle donc qu’en tant que fils et filles de Dieu, créés à Son image nous sommes intendants de notre corps, de cette vie qu’il ne s’agit pas de mépriser mais bien d’épanouir, de construire, d’alimenter… parce qu’ils sont le don de Dieu et que c’est dans cette vie et dans ce corps, par cette vie et par ce corps que nous nous sanctifions, c’est-à-dire que nous nous unissons progressivement à Dieu jusqu’à la béatitude du ciel.
« Cherchez d’abord le Royaume et sa justice… »
L’évangile nous donne ainsi le critère pour juger de ce qui est nécessaire dans notre vie : respecter et faire respecter ma dignité de personne humaine créée par Dieu pour aller à Dieu. Et donc, en bonne logique : respecter mon corps et le corps des autres, ma vie et la vie des autres. Tout le reste appartient au superflu et ne doit pas engendrer un quelconque souci de notre part…
Il nous faut réfléchir sur la manière dont nous usons des biens économiques, voir si nous en usons avec cette intelligence rappelée par Jésus, dans cet esprit du Royaume qui nous fait être intendant de notre personne pour qu’elle puisse s’épanouir comme enfant de Dieu.
Et comme l’homme est un animal social, comme le chrétien vit dans une communauté qui est l’Eglise, il est aussi responsable, dans une certaine mesure, du corps et de la vie des autres afin que tous puissent dans ce corps, par cette vie, rejoindre leur origine, le Père.
Celui qui appartient au Royaume, c’est-à-dire celui qui tend à vivre dans cette justice, dans cette lumière de la Parole à laquelle il adhère avec foi même si elle lui semble dure, parce qu’il est un enfant et que son Père l’éduque et le nourrit, celui-ci s’attachera à Dieu et méprisera tout le reste comme superflu ! Mépriser veut dire tenir pour négligeable et non avoir un regard négatif sur les biens de la terre qui seraient mauvais ! Non, rien n’est mauvais dans la Création. Du moment que sa personne, dans sa dignité de créature appelée à Dieu, est respectée et qu’il peut alors utiliser son corps et sa vie pour faire passer la charité, tout le reste relève pour lui du superflu.
« Tout est à vous mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu. »
Alors qu’au contraire, si nous nous occupons d’abord (se préoccuper, c’est s’occuper d’abord) de Mammon, c’est-à-dire des richesses, de la Richesse, si nous nous faisons du souci pour le vêtement, pour la nourriture, ce n’est alors pas à cause de la dignité de notre vie et de notre corps donnés pour aller à Dieu. C’est pour nous que nous le faisons. C’est ce qu’on appelle l’égoïsme. Et, automatiquement, nous aimons Mammon et nous nous détacherons de Dieu.
Voyez-vous comme le partage est différent. Si je m’attache à Dieu, je tiens pour négligeable le superflu. Mais si j’aime Mammon, j’arrive à détester Dieu, de manière subtile parce que Dieu s’oppose fondamentalement à l’amour propre. Je ne vis plus comme un enfant dans la dépendance amoureuse vis à vis de mon Père. Je vis dans la catégorie du paraître.
Voilà l’enseignement de l’Evangile pour aider chacun à faire le point, sur la manière dont il use des biens économiques : sur le pourquoi, sur le comment il se nourrit et s’habille… Tout ceci est-il orienté vers le retour à Dieu de sa personne dans sa vie et son corps ?
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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