LIBRES DES MOYENS DE COMMUNICATION?
(Dossier Sub Signo Martini n°40)
(Dossier Sub Signo Martini n°40)
Chronique de l’ancien temps, pas si ancien…
C’était au temps où les fiancés s’appelaient depuis les cabines téléphoniques ou sur le fixe de leurs parents, et leurs conversations, parce que rares, publiques et brèves, prenaient la gravité des paroles qui engagent, et leurs silences la profondeur d’une intériorité qui s’enracine.
C’était au temps où l’on pouvait être informé des attentats du 11 septembre plusieurs heures après qu’ils se sont produits, sans s’abreuver avec voyeurisme de leurs images tournant en boucle sur les téléphones.
C’était au temps où des Ave montaient vers les Cieux depuis les bus, les métros et les salles d’attentes, et pas des SMS.
C’était au temps où l’action dans la cité réclamait du temps, de l’énergie, de l’engagement, papier, crayon, enveloppe et timbre, et où les chrétiens ne se donnaient pas bonne conscience en se contentant de transférer une pétition à tout leur carnet d’adresses virtuel.
C’était au temps où chacun savait se taire, et n’exhibait pas sa vie, son œuvre, son travail, sa santé, ses photos, celles de ses proches, à des centaines d’amis aussi lointains géographiquement qu’affectivement. Au temps, en somme, où la pudeur avait un sens, le silence une utilité, et la solitude une vertu.
C’était au temps où personne ne pouvait se dire : « Tiens, je viens de perdre une heure à regarder des vidéos médiocres sur Youtube, en suivant des liens absurdes, et je n’ai pas encore commencé mon repassage. »
C’était au temps où l’on était capable de fixer des rendez-vous clairs, et s’y tenir, sans les annuler, modifier, préciser au dernier moment. Où l’on n’avait qu’une parole, limpide et fiable, et où la ponctualité restait la politesse des rois, les retards ne pouvant ni s’anticiper, ni se justifier.
C’était au temps où ni le mari, ni les collègues ne posaient leur téléphone sur la table, à côté de leur pain, au restaurant. Et les conversations en étaient plus cohérentes, plus justes, plus raisonnées, et plus efficaces.
C’était au temps où l’on réfléchissait avant de faire des bonnes affaires, on ne connaissait pas par cœur les 16 chiffres de sa carte bleue, et où l’argent n’était pas virtuellement prélevé, quoique réellement dépensé.
C’était au temps où les jeunes étudiants ne demandaient pas à leur père spirituel de leur installer le filtre parental sur leur ordinateur portable, tellement fortes étaient les tentations, faciles les chutes, et âpres les luttes pour la pureté.
C’était au temps où la mère de famille faisait encore ses courses au supermarché avec un chariot, péniblement chargé, puis déchargé, ou bien 4h de queue à la CAF pour obtenir une attestation fiscale, et au moins autant à la sécu pour se la voir refuser, faute de s’être présentée au bon guichet. C’était le temps du temps perdu.
C’est maintenant le temps de gagner du temps, en utilisant les moyens comme des outils et non comme des fins.
Car il est, encore et toujours, le temps d’aimer, le temps de vivre de charité, de faire son salut, et de donner sa vie, choisissant librement le bien, à chaque instant.
Nous consommons l’information. Nous digérons ou nous crions à la désinformation. Comment éduquer notre liberté ? Proposition d’une via media par un journaliste et appel à la responsabilité de chacun.
Une journaliste new yorkaise a fait une expérience (Le Figaro, 12 avril 2013). Elle a demandé à ses trois enfants de se « déplugger » : six mois sans télé, sans le moindre média technologique. « J’ai vu mes enfants émerger peu à peu de l’état de « cognitus interruptus » si je puis dire qui avait caractérisé tant et tant d’heures de veille, pour devenir des penseurs plus logiques et plus concentrés » révèle-t-elle dans son livre (Susan Maushart, Pause).
Faut-il éteindre sa télé pour allumer son cerveau ?
Jean-Paul II ne préconisait-il pas en 1996 un carême de la télévision, notamment pour « consacrer du temps à la réflexion » (Angélus, 10 mars 1996). Le flot des informations n’a-t-il pour effet de nous abstraire de nos disperser, de nous déconcentrer ? Un confrère journaliste me faisait remarquer que « les médias offrent une confrontation avec le réel, un mouvement dialectique qui fait sortir de soi. L’information, nous oblige à sortir de nos préjugés. »
Soyons concret : qu’est-ce que l’information ?
Vladimir Volkoff rappelait d’abord que c’était énoncer un fait nouveau. L’information par définition a deux vertus. Elle nous tient au courant. Elle nous ancre d’une façon ou d’une autre au réel. Les faits énoncés peuvent confirmer des convictions, donner des arguments. Ils nous permettent d’entamer une discussion plus en profondeur en partant de l’actualité. Pour le travailleur intellectuel, ils sont un moyen, selon Jean Guitton, d’« intégrer l’inattendu. »
Les médias sont eux-mêmes des lieux d’actualité intellectuelle. Hormis les revues qui ont pour but d’instruire, de réfléchir chaque quotidien a ses tribunes, ses pages de débats où interviennent souvent des intellectuels. Les radios, les télévisions, en particulier les chaînes d’infos en continu et le service public, ont leurs émissions de débats ou des émissions plus culturelles.
« Le grand problème », se lamente souvent un vénérable confrère, « c’est que les gens ne lisent plus. » Autrement dit : on manque souvent d’un « logiciel », d’une formation préalable qui nous permettent de bien discerner ce qu’on lit, ce qu’on voit, ce qu’on entend. D’où la crédulité d’un certain nombre de nos concitoyens par rapport au discours médiatique. D’où l’importance d’un temps de formation, préalable, d’étude fondamentale. A cette occasion, il est important de s’abstraire au mieux de l’information, sauf pour exercer une curiosité intellectuelle.
Ce temps est précieux pour exercer ensuite le discernement et résister à la désinformation. Autre intérêt de la presse quotidienne ou magazine : « En France, soulignait un confrère du Point, vous pouvez trouver des journaux de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, des plus athées aux plus cathos ».
Comme père de famille,
je pense qu’il est important de laisser au maximum l’enfant à l’écart de la télévision. « La fiction [de la télévision ou du film] dépossède l’enfant de la réalité…, elle se substitue à elle, introduisant une forme de déréalisation qui fera désormais partie de son rapport au monde », relève la pédagogue Liliane Lurçat (Vers une école totalitaire). Autre danger : la passivité et la formation d’un patrimoine intérieur d’images qui lui sont … imposées.
Comme journaliste,
je m’informe d’abord par la radio, pour avoir la trame de l’actualité, ensuite je lis un ou deux quotidiens, un ou deux sites internet pour savoir ce qui se passe en plus et pour approfondir ce que j’ai entendu. Je garde la télévision pour le soir. Quand le cerveau commence à s’éteindre.
Vincent Roux, journaliste.
Notre manière de vivre les relations humaines a été considérablement influencée par le développement des moyens de communication. Nous sommes plus « connectés » que nos parents. Mais aimons-nous davantage ?
Eviter d’affronter l’autre!
Lorsque nous discutons avec un bon ami sur une terrasse de café pour débattre sur l’efficacité de l’avant-centre du PSG, seulement un cinquième de notre relation s’exprime par la parole. L’essentiel est non verbal : l’intonation de notre voix, notre gestuelle, les mimiques de notre visage la posture de notre corps et d’autres signaux inconscients disent davantage que nos paroles ! Nous entrons en relation avec tout ce que nous sommes, corps, psychologie et âme.
Les fenêtres de chat, les textos, toutes les communications qui se déploient par l’intermédiaire d’un écran sont parfois des choix de facilité. Elles évitent d’affronter le réel. Parler de sujets qui nous affectent par texto, au pire par téléphone, mais fuir le vis-à-vis par timidité ou par peur, c’est privilégier une relation partielle où souvent l’imaginaire prend le pas sur le réel. Une relation amoureuse par exemple qui se construirait sur un tel fondement serait facilement cantonnée au domaine du fantasme : ayant peur de se risquer à découvrir l’autre dans ce qu’il a de différent on préfère se l’imaginer à l’aune de notre désir. Mais la réalité se charge bien de nous rappeler à l’ordre. L’atterrissage peut être difficile.
Profil ou masque ?
Nous élaborons des profils virtuels comme une vitrine commerciale où nous nous présentons sous notre meilleur jour. Le risque est de confondre subtilement le masque que l’on présente avec ce qu’on est réellement. La limite n’est pas si claire, surtout à l’adolescence ou l’imaginaire peut prendre le pas sur le réel. Or, l’estime de soi est un élément important de la construction d’une personnalité et s’entretenir dans l’illusion d’être le personnage de son profil n’est pas pour favoriser cette maturation. Faute de parvenir à s’aimer dans le réel, à travers ses qualités et ses défauts, on en vient au narcissisme qui est une contrefaçon de l’amour de soi : je ne m’aime pas tel que je suis, j’aime mon pâle reflet, image que j’ai ou que je donne de moi-même. On brade la joie simple d’être soi-même contre l’illusion élaborée d’être quelqu’un. Cette illusion peut rassurer un temps, rendre confiance en soi. Une sorte de défi à relever. Encore une fois le risque est de s’y complaire et de s’y enfermer.
Engagement ou zapping !
Désister un rendez-vous devient de plus en plus facile : un texto pour dire que je ne serai pas là – dans le meilleur des cas… Plus besoin de prévenir trois jours à l’avance en appelant sur le téléphone fixe. Chaque petite contrariété (mauvais temps, « trop de boulot », un autre rendez-vous plus sympa, un coup de blues…) devient un motif suffisant pour renoncer à un engagement. Ces solutions de facilités qui se muent facilement en habitudes se retrouvent dans la vie affective : on ne tient plus réellement parole. On boucle une relation comme on supprime un rendez-vous de son agenda électronique. Ère du zapping… Faute de cette capacité à durer, essentielle à toute maturité, faute de temps, les relations amoureuses en deviennent éphémères. Le zapping amoureux empêche de construire et de faire grandir l’amour.
Patience dans la vie !
« Il faut du temps au temps… » S’engager implique de prendre du temps et de tenir dans la durée. Nous faisons souvent l’expérience qu’il faut attendre pour voir mûrir les relations et se fortifier les amitiés. Nos parents nous ont enseigné qu’on ne peut pas avoir « tout, tout de suite ». On ne brusque pas non plus une amitié. L’amitié et l’amour ont besoin de temps pour croître. Pour nous ouvrir au monde qui nous entoure et tout particulièrement aux personnes que nous côtoyons nous pouvons rechercher toujours à satisfaire nos besoins de façon immédiate. La culture de l’immédiateté nous fait parcourir le chemin inverse en nous poussant à vouloir des réponses instantanées, des informations en direct, le bon film tout de suite, l’ami au téléphone sans attendre ! Ces habitudes marquent notre vie affective et rendent difficile l’acceptation du temps nécessaire à toute grande œuvre. Saint Vincent de Paul disait que « ce qui se fait sans le temps ne tient pas dans le temps. » L’amitié, l’amour, la charité, plus largement, sont une grande œuvre pour laquelle nous devrions prendre le temps d’être patients.
Pascal Boulic + prêtre.
Comment l’intrusion des moyens de communication dans la vie quotidienne influence notre vie spirituelle ?
Il ne s’agit pas de dénigrer les moyens modernes de communication dont on apprécie les bienfaits et que l’Église ne manque pas d’encourager, mais de souligner la fragilisation de la vie spirituelle qu’un manque de maîtrise à leur égard ne manque pas d’occasionner.
Bien que l’on puisse, comme on peut le lire ici ou là, regarder l’Esprit-Saint comme le communicateur par excellence, la vie spirituelle n’est pas affaire de simple communication. Elle est communion. Une communion qui n’est pas une communion d’idée, de valeur ou de doctrine mais une communion de personnes, une communion dont la consistance et la vérité tiennent à la réelle présence de celui à qui l’on se rend disponible ou qui se rend disponible. Cela est vrai des personnes de la Sainte Trinité, des saints du ciel comme de ceux qui partagent notre condition terrestre. Toute communion suppose un « lieu » concret de rencontre. Force est de constater que les médias à l’ère du numérique ont déplacé ce lieu dans la sphère du virtuel insinuant ainsi l’idée que la communion se résume à une expérience de communication. On devine le risque de mesurer sa prière et son oraison à l’aune des émotions qui seraient ainsi le gage d’une communication réussie avec Dieu.
La culture de l’immédiateté que génèrent les nouveaux médias ne peut que favoriser la tentation de l’impatience, de la dispersion et le manque de persévérance dont on sait qu’ils peuvent être le lit du fondamentalisme religieux ou du piétisme exagéré. La spiritualité devient subjectivité et non plus intériorité et la vie chrétienne une perpétuelle agitation cherchant à s’imposer à l’autre, quand elle ne sombre pas dans l’acédie.
Les nouveaux médias apparaissent au chrétien comme un champ nouveau sur lequel doit s’exercer la tempérance, cette vertu qui mesure les actions et les passions humaines en mettant un frein à la convoitise de ce qui attire l’homme le plus fortement (cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique II-IIae, Q. 141, a. 1). Dans son intervention sur l’impact des médias dans la vie religieuse contemporaine, sœur Marie-Rachel Zongo écrit : « dans « l’Église et Internet » l’Église recommande certaines vertus à cultiver : la prudence, la justice, la force et le courage (défendre la vérité face au relativisme religieux et moral), l’altruisme et la générosité face à la mentalité de consommation individualiste ; la décence face à la sensualité et au péché. Pour elle, la modération est nécessaire d’où une approche auto-disciplinée de l’usage d’Internet (des médias) ; afin de l’utiliser sagement et uniquement pour le bien. ». Ce ne sont pas les médias qui nous aident à bien prier, mais la prière qui nous aide à bien user des moyens de communication. S’ils élargissent l’horizon humain, ils multiplient d’autant, en genre et en nombre, le combat spirituel dans lequel se vit et s’édifie la fidélité au Christ.
Bruno Attuyt + prêtre