La charité évangélique de St Martin
De l’Évangile de Saint Matthieu (Mt 25, 31-46)
« Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !” Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?” Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.” Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Cet évangile nous interroge bien évidemment sur le regard et l’implication personnelle que nous avons sur cette catégorie de personnes que le Christ appelle « ces petits qui sont mes frères ». Mais il ne faut pas en rester à un regard extérieur. Lors de sa venue à Tours pour le XVIème centenaire de la mort de saint Martin (21 septembre 1996), évoquant la charité d’Amiens où Martin encore catéchumène partagea son manteau de soldat (la part du paquetage militaire dont il était propriétaire) pour couvrir le pauvre qui grelottait de froid à la porte de la ville, le Pape Jean Paul II avait dit commentant cet évangile: Pour reconnaître le Christ présent dans « chacun de ces petits » qui sont les siens, il faut en avoir perçu la présence dans le recueillement intérieur. Homme de prière, Martin laissa le Christ le saisir tout entier. Il pouvait redire comme saint Paul: « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Martin, simple catéchumène, découvre sa propre indigence qui le conduit à mendier auprès du Seigneur en désirant le baptême, la Foi qui rassasie, la Charité qui habille et l’Espérance qui libère. D’une certaine manière, il s’identifie, sans le savoir encore, au Christ regardant l’humanité que le péché a blessée et dénudée de la grâce.
La deuxième charité de Martin que rapporte son biographe Sulpice Sévère, c’est celle de l’homme de l’eucharistie qu’il était devenu par son sacerdoce et son épiscopat. Elle manifeste la maturité évangélique à laquelle il est parvenu. Alors qu’il vient se plaindre à Martin de ce que le diacre chargé d’aller lui trouver un vêtement l’avait oublié, l’évêque, en le revêtant de sa tunique pour n’être plus vêtu que de sa chasuble, se substitue au pauvre venu le solliciter en sacristie. C’est le Christ que Martin habille, le Christ dont il va célébrer le sacrifice eucharistique. Mais en faisant ainsi, en étant à son tour sans habit dont il soit propriétaire, il prend la place du pauvre. Martin en s’identifiant ainsi au pauvre, s’identifie au Christ qu’il a vu dans le pauvre. Chez lui les réalités liturgiques et sacramentelles sont des réalités existentielles et pas seulement rituelles.
« Homme de prière, Martin laissa le Christ le saisir tout entier »
L’eucharistie est le lieu central de notre configuration au Christ, car elle est le sacrement où celui qui est célébré est aussi celui qui célèbre, où celui qui se donne à communier comme Dieu est aussi celui qui communie à l’humanité. C’est elle qui nous fait alors voir dans le pauvre à revêtir, à évangéliser ou à pacifier le Christ auquel il nous faut nous identifier. C’est elle qui, pour autant que notre vie baptismale soit cohérente, nous fait découvrir notre pauvreté, car elle manifeste notre identification au Christ.
Alors, quel sera notre regard sur le pauvre que nous rencontrerons en allant ou en sortant de la messe ? Que ferons-nous ?
Don Bruno Attuyt