Lectio divina
Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina pour le vingt-quatirème dimanche 2015
DIEU SEUL SUFFIT
Le 24ème dimanche nous met devant ce qu’il est convenu d’appeler la profession de foi de Pierre. Curieusement, cette profession de foi révèle une foi imparfaite. Nous ne voulons pas parler des arguties exégétiques qui foisonnent autour de la réponse de Pierre qui n’est pas rapportée de la même manière par Marc et par Matthieu. Ce dernier retranscrit une profession de foi qui regarde non seulement la messianité de Jésus ( » Tu es le Christ » c’est-à-dire le Messie, l’Oint, le Sauveur d’Israël), mais aussi sa filiation divine ( » … le Fils du Dieu vivant. « ) Marc, lui, ne rapporte que la première partie de la déclaration. Ce n’est pas là que se situe l’imperfection de la foi de Pierre. La foi de Pierre est imparfaite parce que, aussitôt après avoir reconnu l’être de Jésus, il rejette le fait que ce Messie doive souffrir et mourir pour accomplir la Rédemption.
L’annonce de la victoire divine sur le Mal
Pourtant, Isaïe a annoncé ces souffrances et cette mort, comme nous l’entendrons dans la première lecture. Cette réaction de Pierre, sur qui l’Eglise va être fondée !, devant l’annonce que Jésus fait Lui-même de Sa mort est un réflexe normal. C’est la réaction du vieil homme, de cet homme dont l’esprit est encore sous l’emprise du Mauvais. C’est pour cette raison que Jésus ne se scandalise pas de cette réponse. Lorsque le Maître lui rétorque » Passe derrière moi, Satan ! « , ce n’est point une assimilation méchante ni injurieuse que Jésus fait entre Son disciple et le Prince de ce monde. C’est seulement la première marque, la première annonce de la victoire de la pensée de Dieu sur la pensée du Mauvais. C’est l’annonce de cette chute du monopole que, jusqu’à présent, Satan a sur l’esprit humain. C’est l’annonce que, dès maintenant, l’Adversaire peut ne plus avoir de prise sur l’homme.
La vie chrétienne c’est la Croix
Jésus ne se scandalise pas de la réponse de Pierre. Mais Jésus pourtant insistera par trois fois sur la nécessité de souffrir, de mourir pour ressusciter et rendre alors effective en chacun cette victoire de la pensée de Dieu. Le Christ insiste pour Lui-même comme pour tout chrétien, occasion supplémentaire pour nous de voir le réalisme de l’Incarnation : ce que le Christ a vécu en tant qu’homme, l’Eglise est appelée à le vivre car Elle est le Corps Mystique de Jésus.
Et Jésus insiste : » Si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix … Si quelqu’un veut la Vie, qu’il perde sa vie … « A tel point que l’on pourrait dire : celui qui n’a pas de croix dans sa vie, au nom de Jésus, celui qui ne souffre pas l’opprobre ou la persécution au nom de Jésus, celui-là n’est pas chrétien. Rappelons-nous la maxime de la petite Thérèse : la croix n’est pas dans la vie chrétienne, la vie chrétienne c’est la Croix !
« Non pas ma volonté mais la tienne »
Alors, devant cette exigence que Jésus nous rappelle (et que nous retrouvons dans d’autres passages de l’Evangile, par exemple lorsque le Christ dit : » Ils m’ont persécuté et ils vous persécuteront car le disciple n’est pas au-dessus de son maître ; ils vous traîneront devant les tribunaux, ils vous chasseront des synagogues… « ) devant cette exigence donc, nous sommes en droit de nous poser cette question : pourquoi cet appel à la mort ? Combien il nous est difficile -avouons-le !- de recevoir ces phrases cinglantes de Jésus : » Celui qui veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. «
C’est vrai : Jésus nous lance un appel à la mort. Mais c’est un appel à la mort à nous-mêmes dont il s’agit ! En effet Jésus ne dit pas : » Qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix « , ce qui serait effectivement un appel à l’anéantissement tel que l’exigent certaines philosophies ou religions. Non, Jésus me dit : » Qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. « Autrement dit, prendre sa croix, dans la bouche du Christ, ce n’est pas se tuer ; prendre sa croix, c’est vivre comme Jésus dans un pur abandon d’amour !
L’application la plus claire de ce principe sera l’Agonie de Gethsémani. Jésus, dans Sa volonté humaine craint la mort, et c’est normal. Il demande donc au Père : » Père ! Si cela est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! « Jésus, vrai homme, se devait de réagir ainsi, car » nul ne hait sa propre chair. « Cependant, Il ajoute immédiatement l’expression de la conformité de Son désir au désir du Père : » Non pas ma volonté mais la tienne. « Et Son désir humain ne sera pas retenu, ou plutôt Il le transfigure par le Désir de Dieu. Jésus devra boire le calice jusqu’à la fin. C’est certainement l’instant évangélique le plus significatif sur le renoncement à soi-même pour vivre pleinement en Dieu.
Les Béatitudes, c’est le monde à l’envers !
Nous ne pouvons pas vivre deux vies, vivre selon deux modalités de vie. Nous ne pouvons pas être dans la vie de Dieu et dans la vie de l’homme. Non seulement bien sûr en ce qui regarde le péché, mais même pour ce qui concerne les désirs légitimes que la volonté exprime -et doit exprimer. C’est pour cela que si nous voulons entrer dans la vie que Dieu promet de nous donner, Sa Vie, nous devons nous oublier. Oublier bien sûr les passions du vieil homme, mais aussi oublier notre propre vie.
Il nous faut donc changer radicalement, c’est-à-dire à la racine. Il nous faut changer notre manière de voir, il nous faut changer notre manière d’appréhender la vie. Il nous faut quitter nos principes de vie pour partager les principes de la Vie divine.
C’est ce que saint Paul appelle la conversion, le retournement vers Dieu, la métanoïa. J’aime à citer souvent cet aphorisme d’un rabbin résumant ainsi la charte évangélique des Béatitudes : les Béatitudes, c’est le monde à l’envers ! Et c’est si vrai ! Le monde de Dieu, la manière divine de vivre, celle qu’Il veut nous inculquer pour nous faire participer à Sa vie, c’est le monde à l’envers. C’est exactement le contraire de ce qu’en général nous avons l’habitude de voir, de faire, de penser.
Il nous faut nous convaincre de cette nécessité de changer radicalement notre manière de voir la vie. Nous n’osons pas, c’est vrai… Nous n’osons pas faire ce pas. Bernanos restera parmi les plus grands prophètes de la lâcheté humaine depuis qu’il a fustigé ces générations modernes qui ont perdu le sens du pari pascalien. Oui, nous avons perdu le sens du risque de Dieu ! Nous ne sommes que des avachis qui ont repoussé le goût du combat, de l’assaut…
« Tant que l’on n’a pas tout donné, l’on a rien donné » (Ste Thérèse de l’E.J.)
Nous avons peur ! Nous ne voulons pas donner, persuadés que nous sommes que donner à Dieu revient à restreindre notre liberté ! Alors, nous essayons toujours d’équilibrer entre la grâce -la force divine- et notre liberté si mal comprise. Comme si Dieu pouvait aller à l’encontre de notre liberté, Lui qui nous a fait libres ! Tel est le sens de la Collecte de ce dimanche : » Seigneur, fais que nous T’aimions sans partage, pour que nous ressentions l’effet de Ton amour. « Il faut aimer Dieu sans partage afin de sentir la présence enveloppante et douce de Son Amour ; Amour qui n’est pas contraignant, qui ne restreint pas ma vie mais qui, au contraire, la pose dans l’existence et la porte à son épanouissement.
Pourquoi ne ressentons-nous pas cet Amour de Dieu, cette réalité de la libération rédemptrice ? Pourquoi n’avons-nous pas cette liberté des enfants de Dieu qui sont entraînés alors dans la paix et la joie de la charité ? Parce que nous ne nous donnons pas suffisamment à Dieu. Dieu est un Dieu jaloux qui ne veut partager. Quel que soit notre état de vie, nous devons nous engager radicalement, nous devons faire l’offrande de notre personne, « en sacrifice spirituel » dira Paul aux Romains (12, 1). Et nous la ferons tous les jours car, hélas, nous chutons aussi chaque jour. Mais peu importe… Jésus ne regarde pas notre péché. Il regarde notre volonté de nous mettre dans Sa Sagesse, de faire confiance en cette Sagesse qui veut, non pas nous gouverner comme un tyran, mais nous construire, nous faire hommes, nous faire partager la Vie de Dieu.
« Dieu te donnera selon les désirs de ton cœur »
Alors que Dieu nous appelle à ce don total -comme Il a appelé Abraham à donner Isaac, comme Il a appelé Son propre Fils à Se donner Lui-même, en donnant, en retour et la vie d’Isaac et la Résurrection du Christ-, nous, nous ne nous donnons qu’au goutte à goutte, Alors, de Dieu, qui donne selon notre cœur comme dit le psalmiste (Ps37, 4), nous ne recevons que des gouttes…
Dieu attend que nous donnions tout pour Se donner tout entier Lui aussi à nous : Il a besoin de notre néant pour entrer en nous ! Mais nous n’en finissons pas de nous donner ! Nous attendons Dieu sait quoi pour nous donner. Alors dans ces conditions-là, Dieu ne peut Se donner, Lui qui est Don en plénitude. Il sait bien que notre cœur est pris ailleurs, que notre trésor n’est pas dans l’Evangile…
Voilà un enseignement possible de la profession de foi de Pierre, voilà jusqu’où elle nous entraîne… Alors, demandons dans notre Eucharistie dominicale cette force, ce courage, cette folie de Dieu pour faire le pas. Qu’attendons-nous pour répondre totalement et faire le pas de l’engagement en Lui ? Oui, demandons la confiance et le courage de mourir à nous-mêmes pour ressusciter dans la vie de Son Fils, et avec Lui dans la Vie du Père !